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LE RENOUVEAU DE LA CULTURE BRETONNE :

UN DEFI POUR L'EGLISE
Lettre de François-Mathurin GOURVÈS, évêque de VANNES
Eskob Gwened

version bretonne

 

    Au début du troisième millénaire, j'éprouve une certaine fierté à me compter parmi ceux dont la langue maternelle est le breton. A ce titre, et comme évêque de l'un des diocèses de Bretagne, il m'a semblé opportun d'entrer en dialogue avec les hommes et les femmes qui sont attachés à la culture bretonne aujourd'hui, une culture qui doit conserver toute sa place dans le contexte de la mondialisation en cours.

     Je le fais en continuité avec le geste historique fort posé par le Pape Jean-Paul II lorsqu'il est venu à Sainte-Anne d'Auray en 1996 : il a donné une place à la culture et à l'identité bretonnes. Il m'a semblé percevoir en cette occasion le signe que quelque chose bougeait dans les relations entre l'Eglise et le réveil breton.

    Je me situe dans le prolongement des festivités qui ont entouré récemment, à Tréguier, le septième centenaire de la mort de Saint Yves, prêtre et patron secondaire de la Bretagne.

    Et déjà, nous préparons le cinquantième anniversaire de la consécration de la Bretagne à Marie Immaculée, qui sera célébré le 26 juillet 2004.

 

I – Nos racines

Une longue route avec l'Evangile

    Les temps ne sont pas si lointains où, en Bretagne, il y avait des liens étroits entre la foi chrétienne et la culture entendue au sens d'une façon d'être originale au sein d'une communauté humaine spécifique. Nous avions nos manières à nous non seulement de nous nourrir, de nous habiller, de nous rassembler, mais aussi de parler, de danser, de prier Dieu, d'honorer nos morts. Cet équilibre a été un moment remis en cause. Un nouvel élan commence pourtant à poindre.

    Faisons d'abord mémoire de notre histoire. L'Evangile a été proclamé à Nantes et à Rennes dès le 3ème siècle par des Gallo-Romains. Puis, à partir du 5ème siècle, dans le reste de l'Armorique, par des Bretons venus d'Outre-Manche, conduits par leurs chefs politiques et religieux.

    Ceux-ci créèrent un réseau de paroisses maillant tout le pays. Certains de ces moines devinrent évêques, ceux que l'on appellera plus tard les saints fondateurs de la Bretagne chrétienne. Aux sept bien connus, l'on peut ajouter saint Melaine et saint Félix pour Rennes et Nantes, évêques gallo-romains fondateurs de ces évêchés.

    Outre nos saints évêques fondateurs, nous avons chez nous une multitude de saints locaux, dont les innombrables chapelles (un millier dans le Morbihan, en plus des 300 églises paroissiales) constellent la Bretagne. Un jour de pardon dans une chapelle bretonne est un jour de joie et une chance spirituelle et humaine. Le saint que nous vénérons est souvent bien local, bien obscur. Mais c'est lui qui a planté l'Evangile dans ce terroir-là. Nous lui sommes redevables de la foi dont nous vivons.
Depuis les origines de la Bretagne, la foi a suscité, à la pointe occidentale de l'Europe, un patrimoine religieux original fait d'églises, de chapelles, de fontaines et de calvaires, qui a évolué au long des siècles et a intégré sans effort les influences venues du reste du monde.
Cette même foi, dans les régions où l'on parlait breton et jusqu'au milieu du 20ème siècle, s'est exprimée en langue bretonne.

Dans un passé récent

    A propos de cette langue, Mgr Graveran, alors évêque de Quimper et de Léon, en visite « ad limina apostolorum » à Rome en 1847, s'entendit dire par le pape Pie IX : « Gardez, gardez comme la prunelle de vos yeux, cette vieille langue qui garde votre foi. » Pendant une vingtaine d'années, de 1865 à 1884, parut un hebdomadaire entièrement en breton, au titre significatif « Feiz ha Breiz » (« Foi et Bretagne »). Il abordait tous les problèmes qui pouvaient intéresser une population rurale attachée à sa terre, à sa foi catholique, à sa langue, à son Eglise.
    En Basse-Bretagne, on disait volontiers que « Ar brezoneg hag ar feiz zo breur ha c'hoar e Breiz » (« le breton et la foi sont frère et sœur en Bretagne »).

    La revue reparut entre 1899 et 1943. Longtemps dirigée par l'abbé Yann-Vari Perrot, elle se préoccupait davantage des dangers qui menaçaient déjà la langue, la foi et l'identité des Bretons. Il en allait de même dans les diocèses de Saint-Brieuc et Vannes, avec d'autres revues, telles que la revue « Dihunamb », fondée par Loeiz Herrieu pour les bretonnants du Morbihan.

    L'attachement des évêques de Quimper, de Saint-Brieuc et de Vannes à la langue bretonne a duré jusqu'aux années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Entre les deux guerres, sauf dans nos grandes villes, le catéchisme et la prédication se faisaient en breton. Pour le grand poète de Groix Yann-Ber Kalloc'h, la langue bretonne avait un caractère sacré, constituait une donnée naturelle de « l'âme bretonne.»

    La langue bretonne a été surtout utilisée par le clergé pour une production en grande partie religieuse. Dans notre diocèse, sous la direction de Jérôme Buléon, puis sous celle d'Augustin Guillevic, toute une équipe se mit en place : elle utilisait le dialecte vannetais, mais travaillait aussi au rapprochement et à l'unité linguistique avec les autres dialectes.

    L'abbé Le Goff créa les outils (grammaire, lexiques, exercices) pour l'étude de la langue dans les séminaires. D'autres réalisèrent un nouveau recueil des cantiques bretons du diocèse, qui fut plusieurs fois édité.

    Le théâtre breton de Sainte-Anne connut ses belles heures avec Job Er Bayon, surtout avant le premier conflit mondial.
    En 1927, le missel latin-breton « Livr pedenneu, overen ha gospereu » vit le jour.
    Beaucoup de prêtres étaient des auteurs talentueux de chants, de chansons, de contes. D'autres traduisaient des œuvres d'autres pays. La revue « Dihunamb » soutenait les talents, publiait les œuvres.

Aujourd'hui

    Le pardon de Sainte-Anne-d'Auray conserve largement sa tonalité bretonne. Le 26 juillet 1954, le cardinal archevêque de Rennes, entouré des évêques des quatre autres diocèses bretons consacra la Bretagne à Marie Immaculée. A cette occasion, on entendit un radio message en direct du pape Pie XII, que le souverain pontife conclut par une invocation en breton.

    A Tréguier aussi, lors du pardon de Saint Yves, le breton était et demeure à l'honneur.

    Parmi nos compatriotes, des hommes comme René de Chateaubriand, les frères Lamennais, le Père Lebret, étaient toujours fiers de se dire catholiques et bretons.

    Quand le pape Jean-Paul II est venu à Sainte-Anne-d'Auray, en 1996, la note catholique et bretonne s'est aussi fait entendre. La culture et la langue bretonnes prirent toute leur place lors de la célébration de la messe. Au cours de son homélie, le Saint-Père cita en breton, leur langue originelle, les paroles par lesquelles Sainte Anne s'était adressée à Yvon Nicolazic.

    Un lien très fort a donc longtemps existé entre le fait d'être Breton et de s'affirmer Catholique. Ce lien – qui se tisse à nouveau ici et là - constituait un élément de notre identité et la langue jouait un rôle important dans le couple ainsi formé. Elle en faisait le lien.

II - La brusque rupture des années 1950

Un fait massif

    Une rupture soudaine s'est produite dans les années 50, même si le problème a commencé à se poser dès la fin du 19ème siècle avec l'enseignement du français dans toutes les écoles, puis l'interdiction – sous peine de punition – d'y parler breton.
    Il faut situer aussi cette rupture dans le contexte d'une émigration massive des jeunes vers les autres régions ou vers l'étranger : la langue bretonne, pensait-on, ne pourrait être qu'un obstacle à la réussite sociale, tant était fort le sentiment de honte.
     Il y a eu un arrêt de la transmission de la langue dans beaucoup de familles, ce qui a provoqué de profonds changements dans la pratique pastorale de nos diocèses. Le phénomène, en effet, a été massif, à tel point qu'il n'y avait pratiquement plus de bretonnants de naissance. L'on a vu disparaître les héritiers d'une langue qui se transmettait naturellement de génération en génération.

Une volonté politique ?

    Cela d'ailleurs n'a t-il pas été consciemment voulu par un certain nombre de partisans d'une République une, indivisible et laïque, jusque dans sa langue ? La mort du breton avait été programmée depuis longtemps. Une des déclarations les plus nettes dans ce sens remonte au 19 juillet 1925. Ce jour-là, Anatole de Monzie, inaugurait le pavillon de la Bretagne à l'Exposition Universelle. Il était ministre de l'Instruction Publique et, à ce titre, il affirma : « Pour l'unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître. » En une ligne, toute une doctrine était résumée : celle d'un Etat centralisé et unitaire auquel répugnait la diversité linguistique et culturelle de ses régions et qui ne voulait reconnaître qu'une langue comme ciment unificateur.

    Par la suite, d'autres hommes politiques ne manquèrent pas de rappeler cette exclusive au nom d'un dogmatisme qui paraît, au moins de nos jours, rigide et dépassé. En tout cas, la plupart des enseignants, ceux de l'école publique comme ceux de l'école catholique, entrèrent dans le jeu du pouvoir central, sans se poser trop de questions, semble-t-il.

Des conséquences

    Nos Eglises diocésaines durent s'adapter à cette nouvelle réalité. On cessa donc de catéchiser et de prêcher en breton, même là où la nécessité ne s'imposait pas. On n'utilisa plus cette langue que par intermittence, dans quelques sanctuaires privilégiés, lors de certains pardons de chapelles ou lors de pèlerinages.

    En même temps, il s'était opéré un profond renouvellement de la théologie et de la catéchèse, et donc aussi du langage pour exprimer les réalités de la foi. Certains prêtres bretonnants n'avaient pas les outils conceptuels pour suivre cette évolution. Quelques-uns cependant se lancèrent dans l'étude et la recherche. Quant aux jeunes prêtres de cette époque, ils maîtrisaient mal ou pas du tout le parler breton, faute d'y avoir été préparés en famille ou au séminaire.

    De façon plus ou moins inconsciente, nous gardions aussi le souvenir de certaines dérives du temps de l'occupation, qui nous mettaient mal à l'aise pour la défense de la cause bretonne.

    C'est donc à la fois dans le domaine profane et dans le domaine religieux que s'est produit un phénomène d'abandon. Il est loin d'être totalement expliqué.

Des îlots de résistance

    Pendant ces années éprouvantes, des militants de la culture bretonne (musique, histoire, langue, patrimoine architectural, sports bretons, etc.) ont continué leur travail avec cœur, non sans quelque incompréhension.
    Des associations anciennes ou nouvelles ont regroupé les énergies, lancé des projets dont la pertinence est aujourd'hui reconnue.
    Dans cette dynamique, des prêtres, des religieuses et des laïcs ont été actifs : il n'est que de penser aux chorales, cercles celtiques et bagadou. Nés d'initiatives personnelles, ils ont rencontré un écho favorable dans les paroisses. En plus d'avoir sauvé un patrimoine inestimable, tout cela a permis à la culture bretonne d'émerger a

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