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le traitement de la douleur et l'aide au mourant.

Docteur NATALI : les soins palliatifs dans un service de pneumatologie
FRANCE CATHOLIQUE N° 2657 DU 11 SEPTEMBRE 1998


A l'hôpital Percy, les soins palliatifs sont développés au sein du service de pneumologie, l'un des plus concernés par les situations de fin de vie et de traitement de la douleur. Le docteur François Natali situe les enjeux matériels et moraux d'un tel choix hospitalier.

- Docteur Natali(1), les soins palliatifs sont au coeur du service de pneumologie que vous co-dirigez. Ce choix d'une unité intégrée à un service de médecine vous paraît-il le mieux adapté ?

Les soins palliatifs sont organisés de deux manières. Les unités autonomes sont spécifiquement vouées aux soins de fin de vie. Disposant chacune de 5 à 20 places, elles totalisent environ 500 lits en France, et assument 2% des décès annuels. La seconde solution est basée sur les équipes soignantes mobiles. Appelées dans les différents services de l'hôpital et ouvertes aux consultations externes, elles offrent leur savoir-faire spécialisé et leur soutien psychologique.

Par obligation nous avons développé une troisième voie dans le service de pneumologie(2) : améliorer les soins de confort et de fin de vie, en continuité avec les soins curatifs. Cette obligation se révèle dans tous les services à haute mortalité (cancérologie, pneumologie, hématologie) à partir d'une double contrainte : la prise en charge de malades gravement atteints, une insuffisance numérique en soignants. On peut se désespérer des inconvénients : dans une unité autonome, nous aurions davantage de monde et de temps pour soigner chaque patient ; l'équipe soignante est hétérogène et les points de vue, exprimés ou non dits, parfois très divergents. Mais cette formule a ses richesses. La haute technicité rend libre d'y recourir ou non. La même équipe vit sans rupture, avec le malade et sa famille tous les hauts et les bas de l'évolution d'un cancer. Pour chaque patient c'est un accompagnement de 12 à 14 mois qui demande une grande disponibilité, dans les peines et les joies. D'autant que les soignants vivent souvent en miroir ce que ressentent le cancéreux, l'insuffisant respiratoire et ses proches. Enfin, des infirmières du service ont acquis le diplôme universitaire de soins palliatifs, une psychologue travaille à plein temps : l'approche palliative progresse.

Une sédation mal maîtrisée peut accélérer la mort

 

- Certains médecins n'hésitent pas à dire leur peu de goût pour l'accompagnement des malades en fin de vie, estimant que leur vocation est avant tout de guérir. Et vous ?

C'est une idée qui ne m'est jamais venue à l'esprit. Mes premiers postes d'interne des hôpitaux de Lyon furent d'ailleurs en gériatrie, puis en hémato-cancérologie. Dans le cas du cancer bronchique, dès le premier bilan, en quelques jours, nous savons si nous pourrons ou non guérir le malade. L'accompagnement de celui-ci exige donc patience, vérité et fidélité, une espérance sereine apprise de la recherche constante pour maîtriser les symptômes physiques ou psychiques les plus difficiles. A nous de nous former en permanence !

 

- Toute unité de soins palliatifs est confrontée à la question de l'euthanasie, en particulier lorsque les efforts faits pour apaiser les souffrances d'un malade peuvent abréger sa vie. Comment vivez-vous cette situation limite ?

L'euthanasie se comprend actuellement comme tout geste qui VOLONTAIREMENT abrège la vie d'un être pour, dans un but "humanitaire", lui éviter des souffrances jugées intolérables, et cela que le malade ou sa famille l'ait demandé ou non. Les termes d'euthanasie passive ou active sont caducs. La demande d'euthanasie naît lorsque la restriction physique et psychologique a fait du patient le "souffre-douleur" de la maladie. Le rapprochement de ces deux mots exprime la profondeur de l'humiliation vécue. La douleur est le symptôme le plus aisément maîtrisable. D'autres complications conduisent à un état grabataire : fonte musculaire, grands essoufflements.

Il arrive que, malgré la morphine et un traitement bien conduit, nous soyons amenés parfois à faire dormir les malades.

C'est une décision difficile demandant dialogue et débat. Une sédation mal maîtrisée peut accélérer la mort. L'infirmière et le médecin ne doivent pas être seuls, afin de ne pas être débordés par la souffrance de l'autre. Le sommeil induit a des règles posologiques et n'est pas une prescription téléphonique.

C'est la richesse d'un service que de développer les soins de fin de vie en continuité avec les soins curatifs.

 

- L'action des bénévoles dans les services de soins palliatifs fait souvent l'admiration. Comment voyez-vous leur rôle ?

Les bénévoles de l'Association pour le développement des soins palliatifs (ASP) viennent dans le service de pneumologie de l'hôpital Percy depuis janvier 1986. Ils sont maintenant présents en hématologie. Leur apport est considérable. En quelque sorte innocents par rapport à la maladie, ils placent leur action sur le plan de l'écoute, du dialogue, de l'amitié. Ils offrent une ressource fabuleuse pour le malade et tout autant, parfois même plus, pour ses proches. A nous soignants, également, ils mettent du baume. C'est toujours une joie de ressentir une présence extérieure à l'hôpital, non impliquée dans les discussions encore trop fermées des soins.

 

- Dans le traitement de la douleur, les Anglo-Saxons ont longtemps eu un temps d'avance. Quelle différence d'approche voyez-vous entre Français et Anglais ?

En France, l'option est probablement plus curative. Les équipes de cancérologie proposent des protocoles de chimiothérapie de 3e, voire 4e ligne, face à des maladies en récidive. Certains de ces produits coûtent très chers : trois injections peuvent valoir le prix - 20 000 F - d'une pompe à morphine programmable avec doses auto-administrables. Il faut établir des options prioritaires pour l'équipement d'un service si l'on veut sérieusement contrôler la douleur. Choisir le moment d'arrêter une chimiothérapie est délicat. L'expérience clinique et la prise en compte des souhaits du malade sont essentiels.

Même pour ce qui est des soins de fin de vie, l'approche anglaise me paraît plus pragmatique, en un sens plus "infirmière". A l'hôpital Saint-Christopher où sont nés les soins palliatifs à l'initiative de lady Cicely Saunders, il règne une grande sérénité, sans la course aux examens complémentaires ou la mise sous perfusion. Beaucoup de chambres comptent deux, voire quatre lits. En France, la "chambre seule" est quasi obligatoire pour le mourant. Les associations jouent un grand rôle au Royaume-Uni. Il existe des lieux de prière cuménique. L'accompagnement est davantage communautaire.

En dehors des unités autonomes de soins palliatifs, nous sommes encore loin d'une telle pratique en France. Mais l'esprit des soins palliatifs diffuse progressivement dans tous les services de médecine à haute mortalité. La création d'un espace-salon pour les familles est la première démarche d'accueil. Je ne nous pense pas si en retard par rapport aux pays anglo-saxons, mais dans un progrès complémentaire.

Recueilli par Denis SOLIGNAC

 


(1) Le docteur François Natali est chef de service adjoint de pneumologie à Percy (l'Hôpital d'Instruction des Armées Percy, à Clamart, Hauts-de-Seine).
(2) La douleur, les grandes difficultés respiratoires de fin de vie ont amené ce service à développer une grande technicité dans la prise en charge de ces symptômes. Celui-ci accueille également des malades atteints de cancers ORL ou d'affections neurologiques nécessitant une ventilation assistée.

FRANCE CATHOLIQUEN° 2657 DU 11 SEPTEMBRE 1998

Pour en savoir plus "dossier euthasie"


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