Accompagnateurs
bénévoles en soins palliatifs, ASP.
René BERBEZY : «ce qu'ils ont fait pour mon épouse.» |
Les bénévoles... des personnes uniques ! Les associations ASP(1) représentent le premier groupe français de bénévoles d'accompagnement en soins palliatifs. Mais ici, il ne suffit pas de se dire bénévole. En 1997, l'Union nationale des ASP a en effet formé 360 bénévoles d'accompagnement sur les 777 bonnes volontés qui s'étaient manifestées. René Berbezy(2) a pu mesurer les bienfaits du travail qu'ils accomplissent dans les unités de soins palliatifs. Il raconte ce qu'il a vécu, avec eux, aux côtés de Rose, son épouse. |
"Le 27 novembre 1995, ma femme, Rose, a fait une attaque cérébrale pendant mon absence et elle est restée plusieurs heures allongée dans notre séjour, à demi consciente. Ça a été tout de suite un calvaire pour elle. Elle est passée dans différents hôpitaux publics, dont trois mois aux Invalides. Puis j'ai dû l'installer dans une maison de retraite, proche de chez moi, si bien que je venais la voir tous les jours. Les hôpitaux ne pouvaient plus la garder... Rose avait une hémiplégie droite avec aphasie, elle souffrait d'incontinence complète, avait de fortes douleurs et de grosses difficultés à déglutir. Mais le plus dur pour elle, et je ne veux jeter la pierre à personne, c'est l'abandon dans lequel elle se trouvait, par manque de moyens, et peut-être par indifférence.
Son visage reflétait alors la peur et la souffrance. Elle était couverte d'escarres, d'une maigreur squelettique, et bourrée de calmants qui l'abrutissaient. La nuit, il n'y avait qu'une personne de garde et Rose voyait assez souvent entrer dans sa chambre - j'en fus le témoin un soir où je restai près d'elle - des personnes séniles, ou atteintes d'Alzheimer qui faisaient un peu n'importe quoi, et elle était terrorisée. J'en étais malade...
Par chance, le médecin de la maison de retraite était remarquable et il a très vite compris qu'il fallait évacuer ma femme vers une unité de soins palliatifs. Déjà, à ma demande, il avait accepté de donner jusqu'à 60 mg de morphine à Rose, car je plaidais dans ce sens, moi qui en avais reçu un gramme par jour pendant trois mois dans l'hôpital américain de Naples (en 1944). Aussi, quand j'ai pris conscience de l'existence des soins palliatifs grâce à Mme Anne Dufeu des ASP, j'en ai fait la demande et nous avons constitué le dossier qui a été accepté.
A ce moment-là, ma femme pesait 34 kilos. Elle était une plaie vive. Elle est donc partie pour la Cité universitaire, dans le service du Dr Camberlain, et là elle a été prise en main par un personnel admirable. Rose a connu les soins palliatifs pendant deux mois et demi, après onze mois de souffrances. C'était la toute fin pour elle. Et je voudrais que d'autres puissent en bénéficier beaucoup plus tôt.
Dans ce service, on la baignait et massait avec beaucoup d'amour tous les jours, pendant plus d'une heure. Elle en revenait détendue. Peu à peu, sa peau est redevenue belle. Et ses douleurs étaient moins vives, malgré le peu de médicaments.
On lui a appris, avec beaucoup de douceur et de patience, les gestes à faire pour se faire comprendre
Les bénévoles des ASP étaient extraordinaires. Parmi eux, il y avait des jeunes de 20-25-30 ans et aussi une dame de 60 ans, remarquable. Des gens simples, des employés, des ouvriers... Ils ne s'occupaient pas du point de vue médical. Ils apportaient leur cur. Ils parlaient à Rose, lui prenaient les mains, la rassuraient, moi-même ils me remontaient, m'encourageaient. Il y en a même qui chantonnaient pour Rose. Dans ce service, on ne la forçait pas à manger, elle qui rejetait si souvent les aliments. On lui a appris, avec beaucoup de douceur et de patience, les gestes à faire pour se faire comprendre. Les bénévoles lui faisaient prendre les repas mais elle mangeait si peu. Quand elle les voyait, son visage s'éclairait aussitôt d'un sourire, moi qui l'avait vue si triste et angoissée les mois précédents. Elle n'avait plus de peur dans le regard.
Ces personnes donnaient du temps, simplement par dévouement. Rose et moi nous avons toujours eu la foi, c'est même elle qui m'a sauvé pendant la guerre. Eh bien, ces bénévoles, c'est ça. Des personnes uniques... On entend souvent dire que la France est foutue.... je peux vous dire qu'eux, ils la mettent en valeur ! Je les admire de donner ainsi de leur temps, librement, à des grands malades, des blessés, des personnes en fin de vie. J'ai eu aussi le bonheur de rencontrer le P. Kammerer, cet homme extraordinaire qui a été déporté à Dachau et qui est l'aumônier des services de soins palliatifs. Il donnait la communion à Rose le dimanche. Il arrivait à lui donner un petit morceau de l'hostie.
Elle a rassemblé ses forces pour me dire au revoir
A la toute fin de sa vie, Rose était reliée à un appareil à pulsion, comme un petit ordinateur, qui lui apportait l'assistance médicamenteuse nécessaire dans ses souffrances. Les médecins des unités de soins palliatifs sont comme les autres, ils préfèrent donner la vie, mais ils comprennent la nécessité d'accompagner celle-ci à sa toute fin.
J'ai quitté Rose le 19 décembre 1996 à 18 h. "Elle va manger, on vous téléphone après", m'a dit l'infirmière. Et à 19h15, elle m'a appelé : j'ai donc parlé à Rose, comme je le faisais souvent. Puis l'infirmière a repris le combiné et elle m'a dit : on dirait qu'elle veut vous parler. Et là, j'ai entendu Rose distinctement : "au revoir... au revoir". Pendant un an, elle n'avait pu proférer un seul mot, et là elle a rassemblé ses forces pour me dire au revoir ; une heure après, elle rendait le dernier soupir. "
René Berbezy
(1) Union nationale des ASP : 44, rue Blanche 75009 Paris - Tél. : 01 45 26 35 41.
(2) René Berbezy, chevalier de la Légion d'honneur, grand invalide de guerre, est âgé de 76 ans.
Pour en savoir plus "dossier euthasie"