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Euthanasie au Québec ?

 Respecter le mytère de la personne,

Par le Professeur François Primeau



 

À partir de mon expérience professionnelle de gérontopsychiatre et de ma formation en éthique, j'aimerais proposer une brève réflexion que m'inspire le débat actuel sur l'euthanasie. J'ai déjà contribué à ce débat dans un mémoire, hébergé sur le site de l'Assemblée nationale du Québec, auquel le lecteur pourra se référer.
               La méconnaissance des facteurs psychiatriques et psychologiques dans ce débat me semble stupéfiante. Il existe en effet une différence notable entre les motifs invoqués pour la légalisation de l'euthanasie (douleur intolérable non soulagée) et ceux qui motivent les demandes réelles d'euthanasie, soient la dépression et la démoralisation. Une étude récente de 2009 du Marie Curie Palliative Care Institute de Liverpool (155 hôpitaux et 3893 patients du Royaume-Uni) révèle que 65% des patients dans les dernières 24 heures de vie sont confortables sans médication, 31% reçoivent de faibles doses d'analgésiques et 4%, des doses plus élevées de médication. En fin de vie, la douleur peut donc être prise en compte adéquatement. Cependant, seulement 3% des patients en phase terminale sont traités pour dépression, alors que de 20% à 50% en souffrent. Or les patients déprimés sont susceptibles de demander l'euthanasie 5.29 fois plus souvent que ceux qui ne le sont pas, et ces demandes sont éphémères: 50% changent d'idée après avoir exprimé une demande d'euthanasie en moins de deux semaines. Face à la détresse existentielle profonde que vivent ces patients, la demande d'euthanasie est un impératif clinique afin d'ouvrir un dialogue entre le patient, le médecin et l'équipe traitante pour en comprendre la signification. Cette évaluation permet d'apporter davantage de sérénité en traitant ce qu'un auteur a appelé la démoralisation psycho-spirituelle.
               En ce qui a trait au suicide assisté, il me semble illusoire de vouloir séparer cette pratique de l'euthanasie : dans les deux cas, l'intention (procurer la mort) et le résultat (la mort) sont identiques. Il faut rappeler que le Québec continue année après année à se situer dans le tiercé de tête des juridictions avec les taux les plus élevés de suicide au monde (13,8/100,000 en 2004). Près de 3,5% des Québécois auront fait une tentative de suicide au cours de leur vie; 0,3% l'ont tenté l'année dernière. De ce nombre, 88% souffraient d'un trouble de l'humeur à vie et 70%, d'un trouble de l'humeur dans les douze  derniers mois. Les services de santé et la société dans son ensemble doivent être mobilisés pour juguler ce fléau qui mine la collectivité québécoise, et concentrer les énergies disponibles déjà insuffisantes  (personnel compétent en santé mentale et financement adéquat), afin de mieux prévenir les tentatives de suicide et les suicides, au lieu de mettre en oeuvre le suicide assisté.
               Il ne faut pas négliger non plus la dérive inhérente aux pratiques de l'euthanasie et du suicide assisté comme le montrent les statistiques mêmes des Pays-Bas, où ces pratiques ont été mises en œuvre depuis plus de 30 ans. En 2009, il y a eu une augmentation de 13% des décès par euthanasie par rapport à 2008, et 45% de plus qu'en 2003. 20% des décès ne sont pas rapportés aux autorités, contrevenant aux balises légales pourtant en place depuis la légalisation officielle de ces pratiques en 2002. De plus, en 20 ans, on a accepté aux Pays-Bas l'euthanasie non seulement pour les patients en phase terminale, mais aussi les patients déprimés depuis 1994, les mineurs de moins de 12 ans, les patients souffrant de démence depuis 2003 et les nouveau-nés handicapés depuis 2005. Et en 2010, le lobby pro-euthanasie propose au gouvernement néerlandais d'étendre l'euthanasie aux personnes «de plus de 70 ans et fatiguées de vivre»!
               Enfin, d'un point de vue plus fondamental, cette pression pour l'euthanasie enlève la dignité inaliénable et «le respect dû à tout être humain du simple fait qu'il est humain» (Paul Ricœur). La valeur de la personne ne dépend plus que de son propre regard subjectif ou du regard d'autrui sur soi-même. Quand la date de « péremption » approche et que la qualité de vie diminue, la personne est jugée sans valeur et mieux vaudrait qu'elle soit euthanasiée! Une réflexion en profondeur est donc incontournable pour respecter,  par la compassion et l'accompagnement, le mystère de la personne dans tout son être, et résister à l'attraction vers le néant que propose l'euthanasie.

François Primeau, MD, CSPQ, FRCPC, BPh, CTh
Professeur agrégé de clinique en psychiatrie et neuro-sciences, Université Laval
Chef, Service de gérontopsychiatrie, CHAU-Hôtel-Dieu de Lévis

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pour en savoir plus :

Dossier "Euthanasie"

Euthanasie et résurrection

Les mourants nous demandent l'espérance (remarques d'un chirurgien)

"J'ai accompagné mon mari..." (Denise LALLICH : entretien avec Denis SOLIGNAC )

Bénévoles en soins palliatifs (René BERBEZY : «ce qu'ils ont fait pour mon épouse.»)

Dans un service hospitalier, l'aide aux mourants (Docteur NATALI : les soins palliatifs )

La mort est violente... (par le Dr J.-F. Roche)

Ethique et euthanasie (par le Dr J.-F. Roche)

Refuser l'euthanasie légalisée (Professeur Bernard Debré)

Mettre fin à la vie, une pratique comme une autre ? (Par le Professeur Lucien Israël, de l’Institut. )

Ces derniers moments si précieux (Par J-P DEWINTER ,médecin en Belgique)

L'euthanasie, l'impossible loi... (Professeur Bernard Debré)

 

 


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