Le
consensus n'a aucun sens
Le
Comité national d'éthique vient de se prononcer en faveur
d'une euthanasie dexception , et déclare dans
le même texte que arrêter une vie ne pourra jamais
être une pratique comme une autre , on le remercie de cette
précision. Il fut déjà, dans notre histoire récente,
indiqué que
l'avortement ne serait pratiqué dans nos hôpitaux qu'à
fin de
répondre à une situation exceptionnelle. Il remplace aujourd'hui
avec l'agrément de la Sécurité sociale, la contraception
dans un nombre de plus en plus élevé de cas.
Une telle dérive
ne saurait épargner la pratique de l'euthanasie, dans une société
au sein de laquelle la longévité s'accroît régulièrement,
et avec elle hélas les diverses dépendances, ce qui pèsera
de plus en plus sur le budget de la santé, d'où certaines
tentations... Mais avant de discuter le principe d'une telle mesure, exceptionnelle
ou non, on souhaite présenter ici quelques réflexions nées
d'une longue pratique de la cancérologie médicale.
Si, en premier lieu, la demande
d'euthanasie est parfois présentée par le patient, apprenant
le diagnostic d'une maladie grave, elle n'est pas renouvelée quand
la situation vient à se détériorer. Du moins dans
le cas où l'intéressé a perçu clairement que
toutes ses chances lui ont été données; et plus encore
qu'il a compté en tant qu'être humain pour l'ensemble de
l'équipe soignante, qu'il a été réconforté,
respecté et entouré.
Ce qu'il demande alors c'est
de ne pas souffrir, ce qui peut toujours être obtenu par une combinaison
de soins locaux et généraux, auxquels il faut ajouter des
mesures antidépressives. Il demande à ne pas être
négligé du point de vue de l'hygiène, ni du point
de vue relationnel ni du point de vue des symptômes non douloureux
mais gênants. Et en outre, chose étonnante pour certains,
il demande à être prolongé, tout en sachant la fin
inéluctable et proche. Et ce répit est mis à profit
pour régler divers problèmes, pour instaurer avec ses proches
une relation parfois nouvelle, pour revenir sil y a lieu à
une spiritualité négligée et même pour témoigner
sa reconnaissance à l'équipe soignante tout entière.
Les patients qui n'ont pas été désespérés
par des médecins indifférents et peu compatissants ne demandent
pas qu'on les tue. Il leur reste dailleurs jusqu'à la fin
un mince espoir, quon na pas le droit de détruire sèchement.
Et cest pourquoi le terme de consensus utilisé par le comité
déthique sonne faux. . La demande d'euthanasie par le patient
n'est faite et alors parfois réitérée qu'en réaction
à la négligence, ou à l'indifférence, ou à
l'incapacité des médecins, à leur manque de compassion
agissante et de formation. Dans la situation dont il est ici question,
la maladie cancéreuse terminale, bientôt responsable d'un
décès sur deux chez les gens âgés, la demande
d'euthanasie faite par le patient n'est que la condamnation de pratiques
inadéquates.
Pourquoi y a-t-il parfois une
telle pratique inadéquate ? La réponse qui a le plus de
chance d'être la bonne est que la nature même de la vie humaine
est occultée, banalisée dans la culture moderne. Le corps
est instrumentalisé. L'esprit est assimilé au fonctionnement
d'un ordinateur. Le fait que, compte tenu de la diversité conjuguée
des génomes et des vécus, il n'y aura jamais deux humains
identiques sur cette planète est méconnu. Le fait qu'il
n'y ait pas de modèle plausible de l'émergence de la vie,
et a fortiori d'une vie consciente d'elle-même, capable de comprendre
et de modifier son environnement, de se savoir mortelle, de déléguer
à la science qu'elle construit ainsi qu'à la solidarité
de ses semblables, le soin de reculer l'échéance, ce fait
est tenu pour contingent.
Si pourtant on en venait
à lever l'interdiction d'arrêt volontairement cette vie,
la médecine d'abord, mais bientôt la civilisation humaine
tout entière, en seraient définitivement altérées
dans leur finalité. Les représentants de notre espèce
aujourd'hui présents sur cette terre devraient en prendre conscience
et mesurer leurs responsabilités.
Lucien
ISRAEL, de lInstitut,
Professeur émérite de cancérologie
Pour
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