Histoire recueillie
par le Dr Alfred Fouquet, dans son recueil de « Légendes, Contes et
Chansons populaires du Morbihan », publié en 1857. Cette légende vannetaise
,t écrite sous la forme d’ une lettre à son ami Ch. Ph. De Kerhallet,
nous dit aussi comment le savant Docteur voyait sa ville de Vannes à
l‘époque.
Vannes, Place Henri IV. Dessin
de Robida
Il
est dans la vie humaine (hélas si imparfaite), un âge où tout est déplaisant
; cet âge est celui qui sert de transition de l'enfance à la jeunesse.
A cette époque malséante , l’étourderie sied peu, la gravité est ridicule
et le sourire a je ne sais quoi de niais.
De même, il est dans la vie des cités,
mais à un tout autre âge, une époque de transformation où le mélange
du vieux décrépit et du neuf flamboyant blesse également l’œil et le
goût.
Parmi ces villes peu gracieuses, je dois
(quoiqu'à regret), citer notre bonne ville de Vannes, à la fois jeune
et vieille, et qui ne manque pas d’une certaine importance, étant port
de mer, siège épiscopal et chef-lieu de département.
Si cette cité était encore ce qu'elle
était jadis, elle pourrait intéresser par l'étrange et le pittoresque...
Si au moins; elle était ce qu'elle doit être un jour, elle plairait
sans doute par sa fraîcheur et par sa régularité; mais avec ses vieilles
tues tortueuses récemment bordées de maigres trottoirs ; avec ses maisons
neuves et blanches enfoncées derrière des pignons enfumés ou revêtus
d'ardoises ; avec sa cathédrale restaurée qui s'élève au milieu de ruines
récentes et d'échoppes en bois vermoulus, la pauvre ville est bien piteuse
et l'archéologue seul a le coeur assez chaud pour l'aimer d'amour.
Pourtant il faut, mon ami, que je te fixe
un instant dans cette cité qui mue, pour te narrer une de ses vieilles
légendes , sombre comme elle était jadis, triste comme elle est aujourd'hui
!
-
« Un soir d'hiver, un honnête gantier de la rue Saint Guenhaël revenait
de la place Mainlière (Aujourd’hui place Henri IV ), où il avait donné
ses soins à un tailleur de ses amis qui s'en allait mourant. Comme il
passait devant la cathédrale, dont les portes n'étaient point encore
fermées , il voulut, avant de regagner sa demeure, prier pour l'objet
de son affection et de ses inquiétudes, et, dans cette intention, il
pénétra dans l'église et alla s'agenouiller au fond d’une des chapelles
latérales.
Vannes, La Porte
Prison
Dessin de Robida
A
cette heure avancée; il y avait peu de fidèles dans le saint temple,
l'obscurité y était presque complète, et le plus profond silence y régnait.
Fatigué de plusieurs nuits de veilles, le bon gantier ne tarda pas à
s'endormir, et si profondément, qu'il n'entendit ni la voix des cloches
tintant l'angelus, ni le bruit des clefs agitées par les bedeaux avant
la clôture des portes, et se trouva ainsi enfermé dans la cathédrale.
A la douzième heure de la nuit, le gantier
transi de froid se réveilla enfin, et jetant autour de lui des regards
surpris, il eut quelque peine à se rendre compte du lieu où il se trouvait,
mais bientôt l'étrange spectacle qu'il eut sous les yeux lui 1ui rendit
mémoire ; car, au pied de l’autel près duquel il s’était endormi, un
prêtre, revêtu d'une chasuble noire, à large croix blanche, était debout,
prêt à commencer une messe, et sur l’autel, couvert d'un drap noir larmé
de blanc, vacillaient les pâles clartés de de deux bougies ornées de
têtes de morts et d'os croisés en sautoir.
Quoique préoccupé de sombres pensées,
et fort ému de cette scène lugubre qui le surprenait tout-à-coup, le
gantier remarqua qu'il n'y avait point de répondant, et s'apprêta à
servir lui-même la messe. Il alla se mettre à genoux aux pieds du prêtre
sur lequel il jeta furtivement un regard.
Oh terreur !!! ce prêtre était un squelette
aux os sans chairs, aux orbites creuses et vides !.... Eperdu, anéanti,
le gantier tomba sans sentiment la face à terre, et ce ne fut qu'à l'angelus
du matin qu'il reprit connaissance et regagna sa demeure.
Mais au sein même de sa famille qui l’entourait
de soins, il restait toujours sombre et taciturne. Le sourire n'approchait
jamais de ses lèvres, et jamais sa bouche n'avait de douces paroles
pour sa compagne, de tendres baisers pour ses enfants. La nuit même,
le repos ne visitait plus sa couche et quand la fatigue lui apportait
le sommeil, ce sommeil était plus laborieux que ses pénibles veilles,
traversé qu'il était de terreurs incessantes sur lesquelles son intelligence
troublée n'avait aucun empire, Pour sauver sa raison et tenter de rendre
un peu de calme à son âme, le malheureux gantier Î résolut enfin de
recourir au prêtre chargé de la direction de sa conscience, et de lui
révéler la cause de ses terribles émotions.
-« Pourquoi, mon fils, lui dit le prêtre,
abandonner ainsi votre âme à des terreurs qui sont peut-être les fruits
d’une erreur des sens, et qui, si elles sont les effets d'une effrayante
réalité, doivent être sérieusement approfondies ; car ou bien le démon
vous a tendu un piège dans cette nuit dont le souvenir vous tourmente,
ou Dieu lui même vous a choisi pour être l’instrument d’une sainte expiation,
d'une réparation nécessaire. Il faut donc, mon fils, dans le double
intérêt de votre salut temporel et de votre salut éternel, aller attendre,
dans la même chapelle et à la même heure, l'apparition qui vous a tant
épouvanté ».
-« Hélas mon père, répondit le gantier,
n'imposez pas à ma faiblesse une épreuve qui me tuerait... »
-« Sans doute elle vous tuerait, reprit
le prêtre, si vous tentiez de la subir armé de la seule raison, mais
vous le savez, mon fils, la foi rend invincible et la prière est la
plus sûre do toutes les armes ; priez donc et croyez !… et si le spectre
vient encore à vous, interrogez-le au nom du Dieu Vivant; qu'il vous
dise ce qu’il veut et au nom de qui il vient.... Allez, mon fils, je
vous absous, que Dieu vous soutienne !... ».
Vannes, carrefour Saint-Guenhaël
Dessin de Robida
Le
soir même, fort dans sa foi, mais faible dans sa chair, le gantier se
rendit à l'église, s'agenouilla dans la même chapelle et se fit enfermer
encore; mais cette fois il ne s'endormit pas; il pria jusqu' à l'heure
attendue avec impatience et pourtant redoutée.
Au premier coup de minuit, les deux bougies
.s'allumèrent d’elles mêmes ; l’autel se tendit de noir ; Puis d'un
pas lent et sourd, le squelette, revêtu de la chasuble de deuil, parut
à l'entrée de la chapelle.
-« Si tu viens au nom de Satan, s’écria
le gantier, d’une voix émue, retire-toi, fuis ce 'temple saint ; mais
si tu viens au nom du Dieu tout puissant, dis... que veux-tu? »
-« Ecoute et crois, mon fils, celui qui
vient au nom du Seigneur, murmura le spectre..... Voilà déjà bien des
années; oh ! des années bien longues pour ceux qui souffrent ! que chaque
nuit, à la même heure, j'attends, à cet autel un. chrétien qui me réponde
une messe que j'avais promise, quand j'étais au nombre des vivants et
que je n'ai joint dite alors, par négligence d’abord par oubli ensuite.
Cette négligence et cet oubli coupables ont eu des suites terribles,
car ils ont pour longtemps ferré les portes du ciel à l'âme de celui
qui devait la dire, et aussi à l'âme de celui pour qui elle devait être
dite.... Sois béni, mon fils, toi que Dieu a choisi pour être l'instrument
du salut de deux âmes !... »( 2 )
............ Aussitôt le spectre et le gantier s'agenouillèrent au pied
de l'autel, et la messe des morte commença ; mais quand le. prêtre eut
prononcé le requiescat in pace, il disparut, et le gantier, jetant les
yeux à la croisée, vit deux traînées lumineuses qui montaient au Ciel…
Il -essuya
alors la sueur glacée de son front, attendit dans la prière l'heure
de l' angelus, et quand il rentra dans sa famille avec un doux sourire
aux lèvres, il y rapporta le calme et la joie, car son âme était complètement
rassérénée. » [ ( au destinataire originaire de la lettre-récit) Sois
heureux, mon ami, du bonheur de tous les tiens et reçois les vœux les
plus affectueux de mon cœur.]
Alfred
FOUQUET
(1) Note
.Cette légende a pour objet les âmes du purgatoire. Nous donnons ci-après
ce que dit le « Catéchisme de l’Eglise Catholique sur le Purgatoire.
( 2 ) Note.
La légende semble dire que le Seigneur tiendrait rigueur à un défunt
de l’oubli ou de la négligence d’un prêtre. Dieu est miséricorde et
veut que tout homme soit sauvé ; il tient compte de toutes nos prières,
et plus des messes que nous pouvons offrir, puisque c’est le Christ
lui même qui s’offre dans l’Eucharistie ; mais il tient compte aussi
de nos bonnes intentions, et sa miséricorde qui les dépasse infiniment
fait le reste. Cette légende est néammoins bien utile car elle nous
rappelle l’importance de nos prières devant le cœur de Dieu d’une part,
d’autre part que pour voir l’Amour, il faut être purifié au feu de l’amour.
LE PURGATOIRE,
extraits du Catéchisme de l'Eglise Catholique
(article 1030)- " Ceux qui
meurent dans la grâce de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu'assurés
de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin
d'obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel ".
(article 1031)- " L'Eglise
appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à
fait distincte du châtiment des damnés. L'Eglise a formulé la doctrine
de la foi relative au Purgatoire surtout aux Conciles de Florence et
de Trente. La Tradition de l'Eglise, faisant référence à certains textes
de l'Ecriture, parle d'un feu purificateur. (…) "
Pour en savoir plus :
La vie après la mort
La vie éternelle,
qu'est ce que c'est ?
Que pouvons nous
faire pour ceux qui sont morts ?
Le Cantique
du paradis
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