Bretagne Breiz

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Questions de l'homme

Le Christianisme

et

la Culture Celte

par Hervé-Marie CATTA


          La Bretagne offre dans ses monuments, sa poésie, ses chants et traditions un témoignage vigoureux d'une culture chrétienne savante et populaire, tour à tour décadente et renaissante. Aussi bien l'Irlande et, dans une certaine mesure, les autres pays celtes, spécialement Pays de Galles et Ecosse.

          Pourtant certains n'hésitent pas à affirmer que le Christianisme aurait détruit les cultures antérieures pour cause de paganisme, y compris dans les pays celtes. Certains auteurs anglais écrivent naïvement que les Chrétiens auraient entraîné le déclin de la culture Celte. Mais y aurait-il encore aujourd'hui une culture celte si des chrétiens n'avaient pas accueilli et transmis une grande part de cette culture celte pré-chrétienne ? Et n'avaient pas continué à créer celte ? Un grand préhistorien breton, P.R. Giot, a reproché à l'Eglise Catholique d'avoir détruit des monuments mégalithiques (époque néolithique) à cause de leur caractère idolâtrique.

          Plus récemment un flot de pourfendeurs du catholicisme répète à satiété que le christianisme aurait "récupéré des fêtes païennes". C'est l'inénarrable histoire de La Toussaint succédant à la fête de Samain en en volant, nous dit-on, la signification ! Comme si c'était un crime d'avoir sauvé des cultures antérieures ce qu'il y avait de beau et de profond ? Y aurait-il encore quelqu'un pour évoquer les symboles de Samain si le Christianisme ne nous les avait pas transmis ? Et plus, transfigurés par l'espérance ?

          Notre thèse, c'est qu'au contraire dans les pays celtes de l'extrême ouest européen, car il n'y a plus de culture celte en dehors de l'Ecosse, l'Irlande, le Pays de Galles, la Cornouaille Anglaise et la Bretagne, le christianisme a parfois effacé mais le plus souvent conservé, transformé, en tout cas a continué l'histoire et donné un essor aux patrimoines culturels littéraires et artistiques des anciens Celtes. Il a repris certains symboles, certaines valeurs, souvent ce qu'il y avait de plus beau, dans la culture et jusque dans le culte païen; il a donné plus de profondeur à ces valeurs et symboles et, par une alliance de sens nouvelle ou plus profonde, leur a redonné un avenir. Dans le cadre bref de cet article nous présenterons des éléments de réflexion qui pourront donner un certain poids à cette thèse.

Considérations sur la pureté supposée des cultures

          Dans sa préface pour une édition de la fin du XXe siècle des Confessions de saint Patrick un savant jésuite irlandais remarquait que saint Patrick avait écrit dans la langue latine un ouvrage de culture typiquement celtique. Je ne referai pas son analyse, tellement c'est évident. Moi-même, j'ai ouvert les yeux au monde en pays bretonnant, tant par la langue, les cantiques, la symbolique les hommes, les paysages et les monuments. Je me suis retrouvé, à la lecture de cette préface, réconcilié avec les deux parties de moi-même, la française et la bretonne.

          Peu de temps après avoir découvert cette observation éclairante, je rencontrais une Russe professeur de littérature française qui me demandait de prononcer pour ses élèves quelques phrases en breton Elle leur expliquait "que la contribution de la culture bretonne à la littérature française avait été considérable". Cette affirmation est vraie du cycle du roi Arthur jusqu'aux Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, et l'on peut dire qu'elle n'est démentie ni par le XXe siècle ni par celui qui commence, le XXIe. On pourrait ainsi proposer comme un "paradigme" - un schéma riche de compréhension pour un ensemble de faits - que la rencontre interculturelle est source d'enrichissement mutuel des langues et des cultures. Il n'y a pas de culture pure, mais des traditions, des emprunts et des transferts sources de renouvellement. Ce paradigme est vrai aussi des relations entre Eglise et cultures.

Les chrétiens et le Mégalithisme

          La Bretagne possède, on le sait, l'ensemble le plus nombreux et le plus spectaculaire laissé par la Civilisation des Mégalithes, au Néolithique. Ne commettons pas l'erreur naïve (encore fréquente aujourd'hui) de considérer ces menhirs ou dolmens, ou le fameux Cairn de Barnenez, comme des réalisations celtiques. Deux mille ans séparent le Mégalithisme de l'apparition des civilisations celtiques anciennes. Quant à la repopulation de l'Ancienne Armorique par l'immigration bretonne venue de Grande-Bretagne, elle est postérieure aux débuts du christianisme. Elle va entraîner une évangélisation ou une réévangélisation des Armoricains autochtones. En vérité quelle a été l'attitude des chrétiens en Bretagne du haut Moyen Age vis-à-vis de ces monuments mystérieux ?
P.R. Giot lui-même a noté que si dans certains cas les histoires des saints bretons racontent des destructions d'idoles, dans lesquelles nous devinons des mégalithes, cela n'intervient que dans certains cas (précisément relatés) où le culte superstitieux de tel " peulvan " (menhir) causait un problème grave. Aujourd'hui le Parlement a bien dressé une liste des "sectes dangereuses "... Mais Giot note également que dans d'autres cas, l'Eglise a non seulement toléré, mais acclimaté les menhirs. L'histoire de saint Samson est significative à ce sujet, avec la permanence en son domaine épiscopal jusqu'à nos jours, comme preuve, des menhirs du Mont Dol. Quant aux "menhirs christianisés" bien que peu nombreux, ils sont très intéressants. Des néo-païens y voient une atteinte à "la pureté" du mégalithisme, près de 4.000 ans après sa disparition !

          Quel mal fait donc cette croix sculptée au sommet d'un menhir comme à Saint-Druzec ? N'a-t-elle pas redonné vie au menhir après des millénaires ? De même ces petites croix à peine entaillées dans la pierre comme à l'âge de bronze on avait entaillé des haches symboliques sur des monuments antérieurs de deux ou trois millénaires ? Ces modifications d'un monument antérieur ne sont pas plus scandaleuses les unes que les autres, ni que par comparaison l'adjonction au Louvre des XVIe-XVIIe et XIXe siècles d'une pyramide de verre de notre temps.

Le christianisme et les cultures celtiques

          Passant maintenant à la culture celtique, nous constations d'abord un fait massif : le christianisme a de fait transmis presque tout ce qui nous est parvenu des cultures celtes préchrétiennes de l'extrême ouest celte : j'en dirai quelques mots pour l'Irlande, pour la Bretagne, et pour l'Ecosse en terminant avec un chant de l'île de Barra. En France, les Gaulois intéressent de nouveau, mais à part Astérix et la Guerre des Gaules, que reste-t-il de la culture celte gauloise ? La langue gauloise ne nous est guère connue qu'à travers un calendrier de bronze, quelques citations d'auteurs latins et des inscriptions. Des druides gaulois, nous ne savons presque rien. Mais par contre les langues celtes comme le breton, l'irlandais, le gaélique d'Ecosse et le gallois se sont transmis jusqu'à nos jours. Certes ce ne fut pas sans peines ni persécutions... (Le préfet des Côtes-du-Nord a décidé en 2.005 que son administration parlerait anglais aux résidants anglophones, dont le nombre est conséquent. Mais il n'y a toujours pas d'ordre aux administrateurs pour parler breton aux bretonnants autrement plus nombreux dans le département...)

          Or si des traditions celtes préchrétiennes en pays celtes nous sont parvenues, c'est uniquement dans ces pays de l'extrême ouest où se sont maintenues les langues celtes, l'Irlande principalement, et en grande partie, grâce aux chrétiens qui les ont mises par écrit. Que l'on songe aux récits irlandais du haut Moyen Age, ce sont les seuls grâce auxquels nous connaissions quelque chose de sérieux sur les Druides et les Bardes, leur éthique, leur situation sociale, leur cosmologie et leur compréhension du monde, leur métaphysique, leur vision de l'au-delà, sans compter toute l'histoire-légende de l'Irlande ancienne. Pour l'art celte par l'archéologie nous pouvons remonter d'un côté dans l'ère pré-chrétienne à la civilisation celte de Hallstatt, puis à celle de la Tène. Mais le plus grand développement de ce qui caractérise l'art celte est reconnu aux VIIIe-XIe siècles chrétiens. Comment expliquer cette continuité dans une histoire artistique ? Cette créativité à partir de motifs anciens dans ces bestiaires, ces entrelacs et ces couleurs ? Que l'on contemple donc les illustrations des fameux évangéliaires celtes-irlandais, les croix, les émaux, les cloches, tels qu'on les trouve par exemple dans les collections du Hunt Museum de Limerick (Irlande) : c'est en chrétienté que le génie celtique a continué à porter son développement et peut être ses plus belles productions.

          Maintenant revenons en Bretagne par la littérature : nous avons multiplicité d'exemples : préfère-t-on les vieux récits transmis par la tradition orale ? Le Barzaz Breiz et les cantiques nous donnent du pré-chrétien, comme "Les Nombres", remontant sans doute disait Hersart de la Villemarqué à l'enseignement traditionnel druidique, avec aussi de l'ancien païen christiannisé. Dans le trésor des contes, il y a un passage continu de l'ancien au nouveau, du païen au chrétien, sans que l'on puisse souvent attribuer purement à l'un ou à l'autre le récit ou les images. Si l'on veut chercher les exemples de création de culture chrétienne s'inspirant des thèmes celto-païens, j'aime assez la Chronique de Saint-Brieuc. La culture celtique s'y mêle aux traditions littéraires gréco-latines, l'histoire à l'imaginaire, l'Enéide latine, au cycle celtique de Merlin, le christianisme à tout ce qui l'a précédé. Signe des temps, la Chronique de Saint-Brieuc à l'orée du XVe siècle (1400) développe ses interprétations des Prophéties de Merlin avec de vigoureuses revendications à l'encontre... des Grands-Bretons, les Anglais. Avec cette Chronique nous sommes deux cent cinquante ans après l'époque ou Geoffroy de Montmouth, Breton embarqué en Angleterre à la suite de Guillaume le Conquérant, traduisait du vieux breton-gallois les légendaires gallois où le préchrétien a été baptisé de façon charmante.

          Un peu comme Tolkien de nos jours, sans l'intention savante. Je penserais également pour ma part que le populaire "Kantik ar Baradoz" (le Cantique du Paradis) contient sinon des versets entiers, du moins probablement beaucoup d'éléments celtes anciens : on le vérifie dans des images comme celle de l' âme qui s'envole comme une alouette vers la lune et les étoiles. En ce qui concerne les croyances, une christianisation s'est faite sans heurt sur certains éléments. L'idée d'éternité, par exemple. Selon Roux et Guyonvarc'h ("Les druides"), il ne faut pas confondre les métamorphoses de type magique et symbolique de certains héros des histoires irlandaises ou arthuriennes et l'idée de la réincarnation. Les Celtes de l'Ouest pré-chrétiens croyaient en trois vies, comme un succédané, audacieux et trop timide en même temps, de l'éternité. C'est à partir de ce terrain prêt aux notions d'Eternité et de Paradis que s'est développée en Bretagne spécialement la littérature sur le mystère de la Mort, le thème du Purgatoire et celui du Paradis. Les âmes sont mortes, mais pas au sens du roman russe de Gogol : elles ont toujours une existence pour les Celtes de l'Ouest, elles peuvent avoir des liens avec les vivants, parfois aussi dangereux que dans les récits pré-chrétiens: les morts pouvaient entraîner avec eux les vivants (anciens Historiques Irlandais).

          Mais le plus souvent c'est dans le sens chrétien de la communion des saints qu'est réinterprété le fonds symbolique ancien. Les âmes du Purgatoire viennent implorer des prières pour entrer en Paradis, comme dans la Légende de la Cathédrale (Dr Fouquet, Vannes, 1857) et tant d'autres. Voir aussi les classiques Légendes de la mort chez les Bretons armoricains d'Anatole Le Braz. Ce thème était également fort prégnant en Irlande au XIXe siècle: il donnera naissance à Halloweeen, la Veille de la fête de tous les saints, où les âmes en peine viennent secouer les vivants pour obtenir des prières. On est à mi-chemin entre la coopération-communion des saints, et l'ancien thème préchrétien où le mort entraîne magiquement le vivant pour qu'il soit avec lui dans sa seconde ou troisième vie. Devenu avec le temps tradition enfantine innocente dans les Pays Anglo-Saxons, cet Halloween nous reviendra avec les grimaces et le morbide de conjuration (conjurer la mort par sa caricature) dans l'opération commerciale de ces dernières années.

Le Chant de Barra

Le Festival Inter-celtique de Lorient réunit l'été (en 2004-2005) près de 500.000 personnes. C'est dans ce cadre, il y a une dizaine d'années, que le musicien Shaun Davey a commencé à composer et présenter au public sa suite orchestrale " Pilgrim" aujourd'hui mondialement connue. Cette suite avait pour lien l'évocation, à travers les sept traditions celtiques de l'Ouest (y compris Man, Cornwell et Galice), des voyages de mission du temps des moines et des saints Celtes des Ve-VIe siècles, " the Pilgrims ". Cette suite a pour pièce finale " le Chant de Barra ". Barra est l'une des îles méridionales de l'archipel des " Hébrides extéreures ", vaste arc Nord-Sud à l'ouest de l'Ecosse. Ce "chant de Barra", mis en musique et orchestré par Shaun Davey, est un très ancien hymne au soleil dont les deux premiers couplets sont apparemment pré-chrétiens, et le dernier explicitement chrétien. A quelle époque ce travail a-t-il été accompli ? On sait seulement que cette version du chant est très ancienne, et que sans sa mise en musique récente devant un public international, elle serait restée pratiquement inconnue. Et pourtant, le Chant de Barra, "A Ghrian", c'est comme le chef-d'œuvre exemplaire de l'accueil dans le christianisme celte des valeurs poétiques de l'ancienne religion : hymne poétique au soleil qui se se couche dans la mer, et se relève à l'aurore, suivi sans heurt, en continuité et comme un apogée, de la confiance au Dieu chrétien :

" A Ghrian "

Salut à toi, soleil des saisons
q
ui traverse les cieux infinis;
puissants sont tes pas sur l'aile des cieux
tu es la mère glorieuse de tous les astres !

[ " a ghrian " (le soleil), est féminin, c'est " la soleil "]

Tu descend et tu te couches dans l'océan destructeur
sans altération et sans peur;
sur la crête paisibles de la vague à l'aurore
tu te lèves, vierge souveraine en fleurs !

J'ai l'espoir quand viendra mon heure
que le Dieu grand et miséricordieux
ne m'écarteras pas de la clarté de sa grâce
tandis que tu me laisses ce soir et te retires.

(traduction Dominique de Lafforest, à partir de la version anglaise)

          Aujourd'hui beaucoup de cultures accèdent à l'histoire et se rencontrent d'un coup avec la mondialisation. Pour les chrétiens de ces cultures, ils doivent affronter les questions de l'acculturation de la foi chrétienne. Puisse l'histoire du christianisme celtique, et particulièrement le chant de Barra, leur donner l'audace et la grâce de relever ce défi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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Qui sont les celtes ?