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L'homme dans l'univers
Par Dominique Lambert (Docteur en physique, docteur en philosophie)

Dans le dossier de ce mois, nous allons évoquer les relations entre science et foi à travers deux exemples. Les origines du monde nous amèneront à étudier les liens entre la foi, la physique et la cosmologie modernes. Les origines de l’homme et l’évolution nous permettront de confronter ce que disent la foi et la biologie.

Durant toute sa vie, le grand mathématicien belge Monseigneur Georges Lemaître (1894-1966) a défendu une sage position concernant les rapports entre la science et la foi, en affirmant la nécessité de ne pas utiliser directement les sciences à des fins théologiques. Pour Mgr Lemaître, Président de l’Académie Pontificale des Sciences (1960-66) et l’un des principaux initiateurs de la théorie du Big Bang, le commencement “naturel” de l’univers (cet état très chaud et très concentré dans lequel, il y a plus ou moins 15 milliards d’années, se trouvait réduit notre univers) ne pouvait en aucun cas être confondu avec la création au sens théologique. Inutile, nous a-t-il appris, d’aller scruter cet état pour “voir le doigt de Dieu”, pour appréhender son acte créateur. En effet, cela aurait aussi peu de sens que d’aller explorer le cosmos avec une navette spatiale perfectionnée pour voir dans quelle galaxie Dieu se cache ou d’espérer trouver l’âme au bout d’un scalpel ou en utilisant un scanner. Mgr Lemaître avait une foi très profonde, il appartenait d’ailleurs à une fraternité de prêtres (“Fraternité Sacerdotale des Amis de Jésus” fondée par le cardinal Mercier) dont la structure et les exigences spirituelles rappellent, à beaucoup d’égards, celles que l’on trouve aujourd’hui dans les nouvelles communautés (vie de prière intense, réunions en communauté locales et régionales, accompagnement personnel,…). Par respect pour cette foi, il refusait de mettre au même niveau (comme on le fait dans la gnose ou dans le Nouvel Âge) la richesse des vérités théologiques et les hypothèses scientifiques. Il avait d’ailleurs coutume de dire : « J’ai trop de respect pour Dieu pour n’en faire qu’une hypothèse (scientifique). » De plus, son honnêteté intellectuelle lui faisait refuser de “trafiquer” les données scientifiques pour en extraire comme de force quelques informations théologiques. Il savait, à la suite de saint Thomas d’Aquin, qu’une défense de la foi basée sur des arguments boiteux risque un jour ou l’autre de se retourner contre la foi. Cette honnêteté intellectuelle a été pour bon nombre de scientifiques de haut niveau un témoignage inestimable et l’image du croyant et du prêtre s’en est trouvé grandie alors qu’elle aurait été ridiculisée par une utilisation apologétique directe de la théorie du Big Bang. Il faut le dire ici de manière claire : la science n’apporte aucune preuve de l’existence de Dieu ni de celle d’aucun niveau qui transcenderait l’ordre matériel. Par méthode, la science ne nous donne accès qu’à la description des phénomènes empiriques (que dirait-on aujourd’hui d’un astronome qui, à l’instar de Newton autrefois, utiliserait l’idée d’une intervention directe de Dieu pour assurer la stabilité des orbites des planètes ou celle d’un “ange attracteur” pour expliquer pourquoi les corps célestes en attirent d’autres ?).


Le travail capital qui incombe aux intellectuels catholiques consiste à dégager des interprétations philosophiques qui, tout en respectant l’acquis de leurs disciplines, restent compatibles avec cette ouverture à la transcendance que nous indique la Révélation.

N’y aurait-il alors aucun contact entre le travail des scientifiques et celui des théologiens ? Si, bien entendu, mais cela n’est pas immédiat. Ce point de contact doit résulter d’un travail d’interprétation des vérités scientifiques, compatible avec celle qui nous est transmise par l’Église. C’est d’ailleurs comme cela que le Saint-Père a récemment balisé le problème des rapports entre sciences et foi dans le domaine de la biologie de l’évolution lors d’un discours à l’Académie Pontificale des Sciences. Prenons un exemple. Si nous étudions l’évolution humaine au niveau de la biologie, nous ne verrons jamais comme telle la “création de l’âme”, nous ne trouverons que des indices montrant des différences avec certains primates supérieurs, … Pas question d’aller faire intervenir l’âme pour expliquer les propriétés de certains fossiles. Mais, pour un catholique, toutes les interprétations (philosophiques) compatibles avec les données des sciences ne sont pas acceptables. En effet, celle qui prétendrait, se basant sur la continuité biologique entre l’homme et l’animal, qu’il n’existe pas de véritable transcendance métaphysique de l’être humain serait à rejeter puisque nous croyons dans la foi que seul l’homme a été fait à l’image de Dieu et est appelé à une relation intime avec son créateur. De la même manière, si les physiciens montraient que l’univers est explicable sans faire usage de la notion de commencement temporel (autrement dit sans Big Bang, comme chez Hawking ou Prigogine) cela n’autoriserait pas les scientifiques catholiques à accepter l’éternité du monde. En effet, passer d’un temps physique (mesurable et calculable) et de ses propriétés (commencement, fin) à une notion métaphysique d’éternité relève non pas de la science seule mais d’une démarche philosophique où toutes les interprétations ne sont plus recevables. La science donne un point de vue sur la réalité (ce point de vue doit être respecté, sous peine d’être malhonnête intellectuellement). Cependant, sans jamais être en contradiction avec la foi, celui-ci n’épuise pas la totalité des approches de la réalité. Le croyant sait dans la foi qu’il y a un autre regard sur l’homme et le cosmos qui vient compléter celui des sciences et lui donner sa vraie consistance. Le travail capital qui incombe aux intellectuels catholiques consiste à dégager des interprétations philosophiques qui, tout en respectant l’acquis de leurs disciplines, restent compatibles avec cette ouverture à la transcendance que nous indique la Révélation. Ce travail est d’autant plus urgent que remontent à la surface, en cette fin de siècle, tout à la fois un néo-positivisme négateur de toute transcendance (l’homme n’est qu’un paquet de molécules en interaction, la réalité matérielle est la totalité de ce qui existe,…) et une fausse mystique gnostique croyant faire dériver la transcendance de la seule considération des réalités immanentes (Dieu est un grand attracteur, Dieu est l’énergie du cosmos, la physique permet d’entrer dans les pensées de Dieu, …).


La description des phénomènes que nous livrent les sciences contemporaines peut devenir une occasion d’action de grâce pour la beauté et l’intelligibilité de la Création.

Si le travail d’interprétation dont nous venons de parler a été correctement mené alors les sciences peuvent devenir, pour nous croyants, une occasion de rendre grâce au Créateur pour toutes les merveilles qu’Il nous a offertes. Un sujet d’émerveillement est la profonde unité des réalités qui peuplent l’univers. Toute la réalité matérielle est, par exemple, construite, des étoiles jusqu’à l’homme, des mêmes particules élémentaires (quarks et leptons et les “messagers d’interaction” qui les lient). Toute la réalité biologique, du brin d’herbe jusqu’à vous, fonctionne à partir d’un même mécanisme génétique fondé sur l’ADN. Toute la physique de l’univers est décrite par un nombre assez restreint d’équations qui le rend étonnamment intelligible, …Ceci n’est pas directement une preuve de l’existence d’un Créateur, mais si nous croyons en Dieu, nous pouvons légitimement interpréter cette unité comme le signe d’une harmonie profonde de la Création, comme la trace d’une intelligence créatrice qui toute discrète n’en reste pas moins saisissable avec le regard conjoint de l’intelligence et de la foi. Aujourd’hui, les scientifiques découvrent que l’univers est très particulier : en effet, ses caractéristiques (âge, dimensions, intensité des forces,…) semblent être ajustées finement pour permettre à la vie et à l’homme d’apparaître et de se développer.(1) L’ajustement pourrait résulter du hasard, mais le regard du croyant y voit comme la trace de la volonté créatrice de préparer et adapter la Création à l’homme, son image et son enfant. Plus encore que le ciel étoilé d’une belle nuit d’hiver, la description des phénomènes que nous livrent les sciences contemporaines peut devenir une occasion d’action de grâce pour la beauté et l’intelligibilité de la Création. L’important ici est que la contemplation du créé ne prenne pas le pas sur celle du Créateur. On évitera ce travers en n’absolutisant jamais le savoir scientifique (qui évolue historiquement et qui reste un savoir simplement humain) et en révisant sans cesse le travail d’interprétation qui repense toujours “à nouveaux frais” et sous le regard de la Révélation les acquis de la raison. À ces conditions, nous saisirons un peu mieux cette magnifique parole du psalmiste : « Les cieux racontent la gloire de Dieu… ».


(1) C’est ce qui est sous-jacent aux considérations dites “anthropiques” ; des exemples de telles considérations sont les suivants : si nous diminuons l’intensité des forces électromagnétiques la double hélice de l’ADN se délie et l’on ne peut plus aisément stocker l’information génétique ; si nous diminuons l’intensité des forces nucléaires, les noyaux lourds comme le carbone risquent de ne plus se former et la vie biologique — essentiellement basée sur la chimie organique du carbone — devient impossible).

Ce texte est issu du numéro 142 de la revue Il est Vivant!


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