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Et Dieu, dans l’évolution ?
Par Marie-Dominique Devignes

Au cours de mes études de biologie, un professeur me fit découvrir cette discipline qui était en train de prendre de l’essor à la fin des années 70 : la biologie moléculaire. Ainsi tout un ballet de molécules incroyablement sophistiquées s’affairait dans nos cellules pour rendre compte de ce dogme étrange : l’ADN est le support de l’information génétique. En d’autres termes, nos chromosomes constituent le patrimoine génétique que nous recevons de notre père et de notre mère lors de notre conception et ce patrimoine contient une information qui va présider au développement d’un organisme à partir d’une cellule unique, l’œuf fécondé !

« Comment cela peut-il se faire ? » Cette interrogation n’est pas sans rappeler celle de Zacharie devant la promesse de la venue d’un fils ou celle de Marie à l’Annonciation. Mais c’est vraiment ce qui me monte aux lèvres devant ce devenir extraordinaire : de l’œuf à l’organisme, de la cellule microscopique à l’individu porteur de tant de capacités. Bien sûr, les efforts et les progrès réalisés par les scientifiques pour comprendre les mécanismes de la vie sont énormes. Qui aurait cru il y a à peine 20 ans que nous arriverions à identifier tous les gènes impliqués dans le développement d’organismes simples et environ la moitié de ceux qui sont contenus dans le génome humain ? Qui aurait cru que nous saurions un jour reconstituer la synthèse d’hormones ou de facteurs de coagulation humains dans des bactéries afin de les produire en quantités utiles pour la médecine ? Qui aurait cru que nous nous acheminerions vers la thérapie génique, le remplacement des morceaux d’ADN défectueux, à l’origine des maladies génétiques comme les myopathies ? Et pourtant, il me semble qu’il reste encore et peut-être restera-t-il toujours une part de mystère au cœur du vivant. Une réponse appelle une nouvelle question et nous n’aurons jamais fini de chercher. C’est pourquoi l’attitude du chercheur est souvent empreinte d’une certaine humilité face aux réalités qu’il étudie.

Le travail considérable que nous menons dans les laboratoires de recherche fondamentale nous permet de comprendre et de disséquer de façon toujours plus fine les mécanismes par lesquels fonctionne le vivant. C’est le cas notamment en ce qui concerne l’expression de l’information génétique et sa régulation. Comment telle protéine, l’hémoglobine du sang par exemple, n’est-elle synthétisée que là « où il faut » (dans les globules rouges) et dans des quantités adaptées (assez mais pas trop) ? Et ce n’est qu’un exemple ! La biologie moléculaire nous a fait découvrir une sorte de langage dans l’ADN, un langage codé susceptible d’être déchiffré non seulement à l’intérieur de la cellule, grâce à une machinerie dont les finesses, les subtilités, et les adaptations n’ont pas fini de nous étonner, mais aussi par l’homme lui-même qui est devenu capable de comprendre au moins partiellement ce langage.

Pour moi chrétienne, c’est véritablement la Sagesse de Dieu qui se laisse percevoir dans ce langage du vivant et je suis heureuse d’être de ceux qui, à travers ces signes de la nature, reconnaissent et adorent le Créateur de toutes choses. Oui vraiment « ce que Dieu a d’invisible depuis la Création du Monde, il le laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres ! » (Rm 1, 20). Le Livre de la Sagesse dit aussi en parlant de ceux qui font des éléments de la nature des idoles à adorer : « S’ils ont été capables d’acquérir assez de science pour pouvoir scruter le monde, comment n’en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître ? » (Sag 13, 9). Loin de me détourner de ma quête du vrai et de ma recherche de compréhension du monde vivant, ma foi me fortifie dans ce travail, en remplissant ma bouche, mon esprit et mon cœur de joie et de louange pour tant de beauté. De plus, il me semble que ma vie de prière, en me rapprochant du Créateur, me rapproche aussi de la compréhension du monde créé. Il m’arrive très souvent de prier l’Esprit Saint pour guider ma recherche, choisir au bon moment la bonne orientation pour les expériences, les bonnes hypothèses de travail. Je le prie aussi tout simplement pour qu’Il m’aide à percer le secret des molécules que j’étudie. C’est un fait incontestable que le travail du chercheur est ardu, car la compréhension du fonctionnement des êtres vivants est comme cachée. Peut-être y a-t-il là comme une évocation de la blessure de l’humanité qui a perdu l’harmonie originelle du jardin d’Éden. Il est tentant en effet d’imaginer un paradis où tous ces mécanismes que nous décortiquons laborieusement aujourd’hui seraient immédiatement accessibles à l’intelligence humaine, inondée de lumière divine. La venue de Dieu parmi nous en son Fils Jésus Christ me donne la certitude qu’il en sera ainsi dans la vie éternelle et l’espérance nécessaire pour poursuivre cependant mon travail qui peut se révéler utile sur cette terre pour mes compagnons d’humanité.

Par ailleurs, la perception de Dieu à travers le déchiffrage de l’information génétique m’a longtemps semblé incompatible avec les théories sur l’origine des espèces vivantes. Mes études avaient été pétries d’évolutionnisme qui constitue un concept ambiant omniprésent dans la communauté des biologistes. Que ce soit par la somme de petites variations ou par des profonds remaniements, l’ADN est capable en effet d’évoluer et de transformer l’information qu’il porte. Et le fait de retrouver dans le code génétique de toutes les espèces vivantes des traits communs, donne force à l’idée d’une origine commune à tous les êtres vivants.

Je me revois encore étudiante me promener avec cette question dans la tête : « mais où donc est la place de Dieu dans l’évolution ? » Les connaissances scientifiques dans le domaine favorisaient de plus en plus l’hypothèse d’une étincelle initiale qui aurait permis l’apparition de molécules primitives capables de se répliquer, d’interagir et peu à peu de s’organiser pour former les premiers êtres vivants. Ces êtres unicellulaires, eux-mêmes capables de se reproduire grâce en particulier à leur ADN, pouvaient bien ensuite avoir “évolué”, lentement ou par à-coups. À aucun moment, sauf peut-être lors de l’étincelle initiale, le Dieu Tout-Puissant, amoureux de sa Création, dont j’avais fait l’expérience par ailleurs, n’avait sa place ! Et soudain, il se fit en mon intelligence comme un flash, une lumière tellement pacifiante qu’elle devait venir de l’Esprit Saint ! « Tu poses la question à l’envers ! La vraie question est : où est la place de l’évolution en Dieu ? »

Ainsi tout était remis en place. L’évolution n’était plus le super système à l’intérieur duquel je devais m’efforcer d’harmoniser mes connaissances scientifiques et ma connaissance de Dieu. Bien au contraire, je comprenais que c’était ce Dieu Tout-Puissant qui par essence même englobait toute connaissance et en particulier celles sur l’évolution. C’est dans cette perspective que j’ai pu alors re-situer les différents résultats que l’on m’avait enseignés, notamment ceux concernant l’ADN, et admettre ce que je préfère appeler des faits d’évolution par opposition aux théories de l’évolution. En effet, même si ces faits suggèrent que le monde vivant a pu se transformer de générations en générations, ils ne peuvent pas exclure (car ce sont des faits et non pas une théorie), l’existence attentive du Dieu Créateur, éternel et donc présent à chaque instant pour donner vie, grâce à ce que certains ont pu appeler un souffle vital, nécessaire et combien mystérieux, souffle que ne peuvent ignorer les biologistes qui travaillent sur ces systèmes vivants. Il ne suffit pas en effet de réunir dans un tube ou dans une enveloppe membranaire tous les constituants de la vie pour que celle-ci naisse et se propage. Cela sera-t-il possible un jour ? Les éléments à programmer pour ce projet sont tellement nombreux que cela paraît peu probable. Et quand bien même cela serait possible, cela n’exclurait pas plus la présence de Dieu comme donateur de vie dans cette situation-là aussi.

J’aime à imaginer ce Dieu, qui permet à l’homme de comprendre, d’analyser, de déchiffrer au moins d’une certaine façon le mystère de la vie, comme un Père qui se réjouit de chacune des découvertes de son enfant, et qui l’accompagne tout en respectant sa liberté, dans chacune des étapes de son apprentissage. Ainsi, même si les connaissances et les travaux scientifiques occupent une grande partie de ma vie et de mon activité intellectuelle, il m’apparaît important et équilibrant de les replacer sans cesse en Dieu. Et ceci se fait très concrètement, en Lui demandant d’éclairer mon travail et mon intelligence de Sa lumière, mais aussi en Lui présentant comme une offrande le fruit de ce travail, ce double mouvement d’accueil et de don n’enlevant en rien toute la rigueur et l’authenticité d’une réelle démarche scientifique.


Ce texte est issu du numéro 142 de la revue Il est Vivant!

 

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