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L’évolution
Par Jacques Balandreau
directeur de recherche au CNRS en biologie moléculaire.

Les biologistes considèrent aujourd’hui l’évolution comme un fait. Différents éléments les ont amenés à cette certitude…

Phylogénie (arbre généalogique le plus probable) de quelques vertébrés déduite de la séquence d’environ 250 bases nucléiques codant pour l’aglobine, une protéine qui fait partie de l’hémoglobine. La barre donne l’échelle : elle représente 5% de divergence sur les séquences. Pour comparer deux séquences, il faut faire la somme des parties horizontales du chemin allant de l’une à l’autre et la rapporter à cette échelle. Du cheval à l’orang outang, la distance horizontale correspond à environ 3 fois la barre : la divergence est donc d’environ 15%, ce qui correspond à environ 80 bases nucléiques qui diffèrent d’une séquence à l’autre.

Le monde vivant n’a pas toujours été comme nous le connaissons. Les états passés nous sont connus par les fossiles que renferment les roches sédimentaires : plus ces roches sont récentes et plus les animaux qu’elles contiennent sont complexes. Certains ont complètement disparu tels les grands reptiles de l’ère secondaire. Plus personne ne conteste ces changements, ces successions.

Le mot évolution implique quelque chose de plus : il implique que ces formes de vie successives dérivent les unes des autres. L’évolution n’a été longtemps qu’une théorie basée sur les découvertes de la paléontologie : il existe en effet un certain nombre d’exemples de séries d’animaux ou de végétaux, qui se sont succédé dans le temps, assez semblables anatomiquement pour que leur parenté soit évidente, assez différents pour que leur appartenance à une même espèce soit improbable. Un exemple classique est celui du cheval, pour lequel on connaît des animaux fossiles du début du tertiaire à l’époque actuelle qui forment une telle série évolutive : les plus anciens ont la taille d’un chien et des pattes à cinq doigts ; on trouve ultérieurement des espèces fossiles de taille de plus en plus grande et dont le nombre de doigts se réduit, jusqu’au cheval qui n’a plus qu’un doigt. Un assez grand nombre de telles séries était connu dès le XVIIIe siècle et a permis à Lamarck de formuler la théorie de l’évolution, que Darwin compléta par la notion de sélection naturelle. Tant que l’évolution ainsi proposée ne reposait que sur les données de la paléontologie et de l’anatomie comparée, elle restait assez conjecturelle ; l’infirmité de cette théorie restait la rareté des fossiles et la nécessité d’établir un rapport entre des stades successifs parfois assez différents. Une autre faiblesse tenait à l’intervention nécessaire du jugement du scientifique pour évaluer les degrés de parenté, et faire la distinction entre différences significatives ou accessoires. Ce jugement était forcément plus ou moins subjectif.

L’apport de la biologie moléculaire

L’étude des molécules caractéristiques des êtres vivants (la biologie moléculaire) a fourni un outil nouveau très puissant aux scientifiques étudiant l’évolution. Quand deux animaux sont très proches (le rat et la souris, par exemple), ils se ressemblent non seulement par leur aspect extérieur et leur anatomie, mais aussi par les molécules qui les constituent, par exemple leur hémoglobine. Mais si on compare leur hémoglobine avec celle du cheval ou, à plus forte raison avec celle de la grenouille, des différences de composition sont évidentes et d’autant plus importantes que l’on compare des animaux plus différents. Dans une molécule complexe comme l’hémoglobine, de nombreuses régions de la molécule sont en effet susceptibles de subir de petites modifications sans que soit compromise la fonction de la molécule ; une mutation dans une telle région non essentielle a de fortes chances de ne pas être un handicap pour la descendance, et elle sera héréditairement transmise. Au cours des temps géologiques, de telles mutations neutres se sont accumulées, et lorsqu’on compare les hémoglobines de deux espèces animales, la mesure du nombre de différences dans leurs formules reflète le temps écoulé depuis que vivait leur ancêtre commun. De telles mesures sur un grand nombre d’animaux permettent de tracer un arbre généalogique, dont les branches extrêmes portent, côte à côte, les animaux dont les hémoglobines sont les plus semblables et les ramifications profondes correspondent à des séparations très anciennes entre des groupes dont les hémoglobines ont beaucoup divergé depuis. Ce même type de méthode a été appliqué aux chromosomes et au message génétique qu’ils portent (séquence de bases nucléiques), avec les mêmes conclusions.


Il est très important de bien réaliser que le philosophe et le paléontologue ne parlent pas de la même chose quand ils parlent de l’origine de l’homme.

Cet apport de la biologie moléculaire à l’étude de l’évolution a été capital, car il a permis de confirmer ainsi par des mesures objectives les relations de parenté ou de filiation entre espèces ; il s’agit d’une méthode non subjective et complètement indépendante de la paléontologie et de l’anatomie comparée. Quand la même filiation est ainsi suggérée par deux méthodes complètement indépendantes, elle revêt un grand pouvoir de preuve, si bien qu’on peut considérer aujourd’hui l’évolution non plus comme une hypothèse mais comme un fait.

Par contre, beaucoup des mécanismes qui provoquent l’évolution restent encore du domaine de l’hypothèse ou de la théorie. Les scientifiques continuent donc leurs recherches et progressent. Ainsi, par exemple, une question importante est en train de s’éclairer. On peut la formuler ainsi : si l’évolution n’était due qu’à l’accumulation de mutations ponctuelles neutres aléatoires, à une vitesse constante, les ères géologiques telles que nous les connaissons, ne seraient pas assez longues pour rendre compte des changements que constate le paléontologue. Cette difficulté s’estompe depuis que l’on s’aperçoit que la fréquence des mutations, n’est constante qu’en première approximation : en période de catastrophe ou lorsqu’une niche écologique s’ouvre à la colonisation, il se pourrait qu’elle augmente fortement, bien que ça ne soit pas encore vraiment démontré.

Évolution du virus de la grippe (d’après Hayashida et al., 1985). De nombreuses souches isolées régulièrement depuis 1934 ont été comparées deux à deux pour la séquence des bases nucléiques d’une certaine région de leur génome. Pour chacun de ces comparaisons, on a déterminé le pourcentage de différences (substitutions de bases) dans la séquence (en ordonnées) et on l’a reporté en fonction du temps écoulé entre l’isolement des deux souches comparées. La courbe du haut traduit les substitutions “silencieuses” ne se traduisant pas par un changement d’acide aminé dans la protéine produite ; celle du bas représente les substitutions aboutissant à des changements d’acides aminés, pouvant affecter les propriétés de cette protéine (fréquence plus faible). Les premières correspondent à une vitesse d’évolution environ 2 millions de fois plus rapide que celle des animaux.

Sur l’origine de l’homme

Et nous ? Que dit la science à propos de notre origine ? Il est très important de comprendre d’abord que ce que la science ne dit pas, c’est l’origine de l’homme. Quand le paléontologue étudie nos ancêtres fossiles, il définit le genre Homo et essaye de définir ses différentes espèces et sous espèces. À partir des fossiles, il essaye de dire si les restes des individus A et B sont suffisamment identiques pour qu’on les désigne par le même nom d’espèce ou de genre ; il définit les limites de variations au-delà desquelles un fossile sera attribué à une autre espèce ou un autre genre. En ce qui concerne nos ancêtres, les caractères étudiés ne sont pas seulement anatomiques : ils comprennent aussi les traces de l’activité (outils, traces de genre de vie, activités culturelles, artistiques). Rien de tout cela ne révèle cependant ce qui constitue la nouveauté radicale de l’homme : la présence d’un esprit qui fait de lui un interlocuteur de Dieu. L’esprit ne laisse pas de trace fossile. Où se situe, sur notre arbre généalogique, cette nouveauté radicale ? Qui était-il, cet animal investi d’un esprit immortel et libre, capable d’entrer en relation avec Dieu ?

Probablement, un membre du genre Homo, si l’on accepte que la relation à Dieu se traduise par des particularités telles que le souci de l’au-delà : les rites funéraires ne se retrouvent pas en dehors de ce que le paléontologue désigne par Homo. Mais la science s’arrête là.

Il est très important de bien réaliser que le philosophe et le paléontologue ne parlent pas de la même chose quand ils parlent de l’origine de l’homme, et c’est certainement une perversion grave d’enseigner aux enfants de l’école primaire la généalogie de l’homme en termes de paléontologie (l’apparition des espèces du genre Homo) plutôt qu’en termes philosophiques.


Ce texte est issu du numéro 142 de la revue Il est Vivant!

 

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