Témoignage Chercheur et adorateur |
Chercheur et croyant : j’ai toujours été surpris qu’on puisse être étonné d’un tel état de fait, et pourtant la réaction est fréquente. N’ayez pas peur, les deux font très bon ménage ! Pauvre chercheur, être de chair et de sang et de transpiration ! , et pas seulement de matière grise, malheureux héritier d’une vieille tentation : « Un jour, on expliquera tout. » N’y aurait-il que côté coulisse qu’il soit aussi évident que l’on s’en tient seulement à comprendre « comment ça marche » et non à « pourquoi ça marche » ? Ainsi, le croyant que je suis contemple une création, dont le temps fait partie, reflet d’une beauté qui ne peut être qu’indicible. Un jour, un collègue m’a dit : « Un chercheur ne peut être qu’un adorateur. » Je ne l’ai jamais oublié.
Né petit dernier d’une famille “héritière” d’une foi où servir Dieu et l’Homme était tout un, j’ai par chance on peut dire grâce abordé l’âge adulte sans contentieux avec la Foi, l’Église, et le “Bon Dieu”. Mais voilà qu’au risque de faire mauvais genre, ce petit dernier tombe amoureux à 19 ans d’une jeune fille athée et non baptisée. Qu’à cela ne tienne, alerté par la prière de ma maman « à qui le Bon Dieu n’a jamais rien refusé » (ce fut son premier commentaire), Celui-ci révèle rapidement et sensiblement Sa présence et Son amour à la jeune fille en question. Ainsi, à défaut d’avoir moi-même expérimenté sensiblement la présence de Dieu, j’ai au moins vu son œuvre au cœur de notre démarrage dans la vie à deux. J’ai cru à sa présence agissante et aimante, au fruit d’une prière venant d’un cœur confiant.
En moins d’un an, le tout bouclé juste avant mai 68 : mariage, débuts dans le métier de chercheur en physique, et baptême de la jeune épouse. Un vrai conte de fées ? Oh que non point !
Qui a dit que Dieu épargnait ses enfants, les faisait vivre sous couveuse ? A-t-il épargné son Fils Unique ? Parlerions-nous d’un Sauveur si point besoin n’était d’être sauvé ? Mais voilà, Jésus nous a laissé des paroles solides comme le roc sur lesquelles je me suis appuyé ; je citerai en particulier celle-ci : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8, 28).
Cette parole mes proches le savent est une véritable lumière pour moi, oasis de paix quand l’apparence est à la tempête, au doute. Et ceci vaut pour toute situation, tout contexte, et bien évidemment dans le travail.
Ainsi ne sommes-nous pas les victimes d’un cruel jeu de marionnettes, qui réduirait à rien la “nécessité” de la venue du Christ, mais les acteurs résolus d’une histoire non prédéterminée bien que “connue” de Dieu, et que les hommes écrivent au quotidien avec l’aide d’un Dieu tantôt appelé, tantôt ignoré, voire éconduit.
Et la science, la présence de Dieu dans ma vie de chercheur, qu’en dire, patience, j’y viens !
Serez-vous étonnés : je considère ce métier comme un métier dur, fatigant, exigeant, et au niveau des apparences quotidiennes, un métier fait bien plus de frustrations, d’échecs, que de réussites éblouissantes. C’est donc un métier d’engagement et de passion, et si on ne l’aime pas il ne faut pas s’y risquer. Il peut donc y avoir un danger mortel pour le croyant à l’exercer, lui qui ne doit « adorer que Dieu seul ».
Avec un recul de 30 années, je peux dire que très discrètement mais très efficacement, Dieu a été présent dans mon travail, travail je crois remis au quotidien, non pas pour qu’Il le fasse à ma place je ne l’ai jamais constaté ! mais pour qu’Il le sanctifie, pourquoi pas en dispose… et même parfois m’en protège ! Parfois, je l’ai comme senti plus proche dans des moments faciles comme difficiles, suscitant alors dans le cœur joie et action de grâce :
- Joie d’avoir réussi, trouvé, et comme “touché” Dieu dans le mystère de ses œuvres ; joie pure, libre d’attente de gloire et de reconnaissance, trop éphémère mais acompte d’éternité,
- Joies inattendues parfois. Il me remonte le souvenir, au sortir d’une de ces salles d’expériences, “paradis” du physicien expérimentateur, en pleine nuit, en terre étrangère, saoul de fatigue, d’avoir tout simplement vu, contraste saisissant, des lapins s’ébattant dans la neige vierge sous la lumière de la lune, et d’avoir alors comme ressenti la tendresse du Père, créateur de toute chose,
- Joie de la rencontre aussi : sentir les barrières protocolaires tomber après quinze jours de travail intensif avec un jeune collègue japonais, et se sentir “pétri de la même pâte” ; se sentir devenir comme frère pour un collègue juif ; se faire piloter sur les lieux saints par un autre collègue de Jérusalem et y vivre un temps très fort de construction et de joie spirituelle, avec le sentiment d’avoir été comme “convoqué” là par le Seigneur lui-même. Le père de famille nombreuse que je suis n’y serait certainement jamais allé en pèlerin ou touriste avant l’âge de la retraite ! Oui, le Cœur de Dieu bat pour toute l’humanité, il est au côté de chacun de ses enfants et en particulier du chercheur qui ne change pas de masque quand il va travailler. Ainsi, je serais ingrat de ne pas dire :
- Il est là dans les intuitions scientifiques, qui peuvent même naître dans les distractions incessantes de celui qui tente sans se décourager d’être fidèle dans la prière,
- Il est là aussi, par exemple (souvenir très précis), quand tout a échoué et que l’avenir d’un jeune collègue peut s’en trouver compromis, et que l’expérience “de la dernière chance” réussit après qu’on ait enfin pensé à appeler à l’aide le Ciel dans une prière pauvre et pressante pour avoir la bonne inspiration,
- Il est là dans les projets, les orientations, les choix des collaborations,
- Il est là quand tout semble bouché, qu’on approche du mur et qu’on ne voit toujours pas le passage, la porte étroite.
Dieu a soif de l’Homme, de tout homme, Il se tient à la porte et Il frappe (Ap 3, 20). Il connaît chacun par son nom, le rejoint là où il est et non pas là où il aurait pu être.
« Si tu savais le don de Dieu… » (Jn 4, 10). Mais sache déjà au moins que « Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. »
Pierre Laporte
Ce texte est issu du numéro 142 de la revue Il est Vivant!