Le Soufisme
1 Le Soufisme, quest ce que cest.
2 Soufisme, Mystique , Esotérisme.
LE SOUFISME, quest ce que cest ?
Le soufisme est le mysticisme de lIslam. Comme tel, il a la particularité dexister aussi bien dans lIslam sunnite que dans lIslam chiite. Décrire le soufisme est une tâche redoutable. Comme tout mysticisme, il est avant tout une recherche de Dieu et son expression peut prendre des formes très différentes. Dautre part, par ses aspects ésotériques, il présente des pratiques secrètes, des rites dinitiation, eux aussi variables selon les maîtres qui lenseignent.
Bien que le soufisme se veuille rigoureusement musulman, lIslam traditionnel, sunnite et chiite, considère le soufisme avec la plus grande méfiance.
En Iran, la grande majorité des mollas y est vivement opposée et dans lIslam sunnite, la plupart des Ulema sont beaucoup plus intéressés par la lettre du Coran et ses interprétations juridiques que par les spéculations des soufis auxquelles ils trouvent une odeur de soufre. Cette opposition généralisée contribue à la discrétion du soufisme.
En outre le soufisme na aucune unité. Chaque maître se constitue une cohorte de disciples attirés par la réputation de son enseignement. Tout au plus, ces maîtres déclarent se rattacher à une " confrérie ", elle même fondée par un célèbre soufi des siècles passés ; personne ne vérifie une quelconque orthodoxie de lenseignement donné, du moment quil se réfère à lIslam.
Limportance de cet Islam secret nen est pas moins remarquable. Historiquement, il a joué un rôle de premier plan dans la naissance des déviations du chiisme que sont lIsmaëlisme et la religion druze. En littérature, il a profondément inspiré certaines des oeuvres arabo-persanes les plus remarquables comme les Contes des Mille et Une Nuits ou le poème damour deLeyla et Majnoun.
Cest cependant par sa spiritualité que le soufisme est le plus original. Dans la conception soufie, lapproche de Dieu seffectue par degrés. Il faut dabord respecter la loi du Coran, mais ce nest quun préalable qui ne permet pas de comprendre la nature du monde. Les rites sont inefficaces si lon ignore leur sens caché. Seule une initiation permet de pénétrer derrière lapparence des choses. Lhomme, par exemple, est un microcosme, cest-à-dire un monde en réduction, où lon trouve limage de lunivers, le macrocosme. Il est donc naturel quen approfondissant la connaissance de lhomme, on arrive à une perception du monde qui est déjà une approche de Dieu.
Selon les soufis, toute existence procède de Dieu et Dieu seul est réel. Le monde créé nest que le reflet du divin, " lunivers est lOmbre de lAbsolu ". percevoir Dieu derrière lécran des choses implique la pureté de lâme. Seul un effort de renoncement au monde permet de sélancer vers Dieu:
" lhomme est un miroir qui, une fois poli, réfléchit Dieu ".
Le Dieu que découvrent les soufis est un Dieu damour et on accède à Lui par lAmour : " qui connaît Dieu, Laime ; qui connaît le monde y renonce ". " Si tu veux être libre, sois captif de lAmour. "
Ce sont des accents que ne désavoueraient pas les mystiques chrétiens. Il est curieux de noter à cet égard les convergences du soufisme avec dautres courants philosophiques ou religieux: à son origine, le soufisme a été influencé par la pensée pythagoricienne et par la religion zoroastrienne de la Perse ; linitiation soufie, qui permet une re-naissance spirituelle, nest pas sans rappeler le baptême chrétien et lon pourrait même trouver quelques réminiscences bouddhistes dans la formule soufie " lhomme est non-existant devant Dieu ".
Même diversité et même imagination dans les techniques spirituelles du soufisme : la recherche de Dieu par le symbolisme passe, chez certains soufis, par la musique ou la danse qui, disent-ils transcende la pensée ; cest ce que pratiquait Djalal ed din Roumi, dit Mevlana, le fondateur des derviche tourneurs ; chez dautres soufis, le symbolisme est un exercice intellectuel où lon spécule, comme le font les Juifs de la Kabbale, sur la valeur chiffrée des lettres ; parfois aussi, cest par la répétition indéfinie de linvocation des noms de Dieu que le soufi recherche son union avec Lui.
Le soufisme apporte ainsi à lIslam une dimension poétique et mystique quon chercherait en vain chez les exégètes pointilleux du texte coranique. Cest pourquoi ces derniers, irrités par ce débordement de ferveur, cherchent à marginaliser le soufisme. Cest pourquoi aussi les soufis tiennent tant à leurs pratiques en les faisant remonter au prophète lui-même: Mahomet aurait reçu, en même temps que le Coran, des révélations ésotériques quil naurait communiquées quà certains de ses compagnons. Ainsi les maîtres soufis rattachent-ils tous leur enseignement à une longue chaîne de prédécesseurs qui les authentifie.
Cette légitimité par la référence au prophète n'entraîne cependant pas d'uniformisation du mouvement soufi : les écoles foisonnent et chacune a son style et ses pratiques. Ces écoles sont généralement désignées en français sous le nom de confréries. Avant de procéder à l'étude de quelques unes d'entre elles, il faut toutefois garder à l'esprit que les confréries sont devenues, non pas une institution, mais au moins une manière de vivre l'Islam si généralement admise que toutes sortes de mouvements, mystiques ou non, se parent du titre de confrérie pour exercer leurs activités. Qu'on ne s'étonne donc pas de rencontrer parfois des confréries fort peu mystiques à la spiritualité rudimentaire, bien éloignée des spéculations élevées qui ont fait du soufisme l'une des composantes majeures de la spiritualité universelle.
Michel Malherbes, Les Religions de lHumanité, pages 192-194 Ed. Critérion
Pour aller plus loin
Soufisme, Mystique et Esotérisme.
Comme lindique Michel Malherbes dans larticle précédent , le Soufisme recouvre des réalités très différentes dans lIslam. En quelques mots nous voudrions proposer une réflexion pour distinguer " mystique " et " ésotérisme ".
La " mystique " au sens propre consiste à vivre le plus possible uni à Dieu. Par exemple Marie de lincarnation, une religieuse française du XVIIeme qui avait été mariée, mère de famille et veuve , qui avait dirigé une entreprise de transport avant dentrer chez les surs Ursulines, fut envoyée au Canada où elle construisit un collège pour jeunes filles françaises et indiennes. Elle était tout le temps en union à Dieu que ce soit chez le notaire pour signer les actes ou avec les entrepreneurs pour suivre la construction. Et même lorsquun hiver le bâtiment prit feu, et quon ne pouvait éteindre lincendie parce quil faisait moins vingt degrés et que leau était gelée, Marie de lIncarnation tomba à genoux dans la neige et loua Dieu. Cette façon de tout vivre en union avec Dieu dans la vie quotidienne, que lon soit religieux ou laïc, cest la vie mystique. On vit dune certaine façon caché en Dieu, on est déjà entré dans le mystère sans fin de la vie éternelle, la vie avec Dieu. Le Roi des Belges Beaudouin sefforçait de vivre de cette façon sa vie publique comme sa vie privée sans que rien ne parut nuire aux devoirs de sa charge ni à son amour dépoux.
Ainsi comprise, la vie mystique est ouverte à tous, il sagit de laisser Dieu, par amour, vivre en nous. Comme dit saint Paul, ce nest plus moi qui vit, mais cest le Christ qui vit en moi. La mystique nest pas une disparition de la personne qui garde son caractère, son histoire, son génie même, et tout ce qui fait quelle est unique et lui permet dêtre aimée.
Toutes les religions proposent elles une mystique ? A lévidence seulement celles qui ont rencontré Dieu comme personne et donateur de vie. Dans ce sens il nest pas impossible à des Musulmans de vivre la mystique, Soufistes ou non. Il est certain que le Soufisme met laccent sur cette union à Dieu. Mais est ce toujours dans des conditions dignes de Dieu et de lhomme ? Cest ici quil est nécessaire de voir la distinction radicale entre " mystique " et " ésotérisme ". Car lEsotérisme tourne véritablement le dos à la Mystique. Alors que la mystique est accueil de Dieu, de sa révélation et de son amour, lésotérisme prétend donner le pouvoir dacquérir Dieu, voire de devenir Dieu en franchissant par ses propres efforts des degrés de " connaissance " réservés à des " initiés " qui se réservent ces pouvoirs.
Il nest sans doute pas difficile de comprendre que si Dieu existe véritablement il est encore plus " personne " que lHomme. Il a donc aussi une liberté. Et sil est libre de se donner comment pourrait on mettre la main sur lui par des " connaissances " et des " initiations ". Dieu ne satteint que sil se donne lui même, et si on laccueille.
LEsotérisme cest la volonté de puissance spirituelle par laccession à des " secrets " ou des techniques . Loin de libérer lhomme ces secrets et ces techniques fabriquent un spiritualisme artificiel dans lequel le " connaissant " senferme. Lillusion de " connaître " empêche dentendre Dieu qui se révèle en parlant à qui est assez humble pour désirer le connaître tel quil se dit. Ainsi certains senferment dans un théorie numérologique, dautres dans les différents tiroirs dune caractériologie déterministe, dautres encore dans des rubriques dhoroscopes, dautres dans des techniques de méditation .
Le vrai Dieu cest celui qui rend libre et qui propose son amitié à tout homme, non à quelques initiés : " Il sattache à moi et moi je le rend libre , il mappelle et moi je lui réponds "(Psaume 91,versets 14 et 15). Ce Dieu là est entré dans lhistoire des hommes par la porte des humbles, en se faisant petit enfant , à Bethléem il y a deux mille ans.
Hervé Marie Catta