SARRANCE
Notre Dame de Sarrance - Sanctuaires Pyrénéens

 

 

    
Sarrance, la tour et le cloître

 

Qui ne connaît pas Sarrance, ne connaît pas la vallée d’Aspe, ne connaît pas le Béarn, ne connaît pas vraiment les Pyrénées : humble sanctuaire de montagne il survit à plus de 700 ans de piété, de prestige et de persécutions, de visites de bergers et de rois, de destructeurs et de reconstructeurs. Son église et son cloître baroques, sa place, ses chapelles champêtres et son passage de gave en cascades au milieu des prairies de « l’Heptameron » appellent toujours les priants, les poètes et les amis des arts, et même les touristes.
    Sarrance est dans le Béarn de la Montagne, dans la vallée d’Aspe ; on a quitté les riants toits d’Orthez aux tuiles brunes pour les ardoises plus graves et les fines lucarnes de toit. Juste au dessus du défilé d’Escot, en remontant la vallée d’Oloron vers le Somport, s’ouvre entre les montagnes un petit plateau autour du Gave : un village autour d’une belle église et d’un petit monastère.
    C’est, selon certains historiens, le plus ancien sanctuaire marial des Pyrénées ; le Pape Innocent II en 1140 aurait accordé des privilèges au prieuré de Sarrance, et les fondations des bâtiments semblent remonter au XIIe siècle. En tout cas le pèlerinage est attesté en 1343 dans le testament de Gaston II de Foix, vicomte de Béarn. Il laisse 150 sols pour faire dire chaque jour une messe dans l’église de N D de Sarrance. « La chronique de Michel du Bernis relate le départ du comte s’en allant combattre en Grenade contre les mécréants, et traduit par ces vers les vœux dont l’accompagne le peuple de Béarn :
    Guisa vos Diu, Nostre Senhor,
    Et Nostra Dona de Saransa. »

 

La Légende de Sarrance

    Francis Jammes, le poète des Gaves, a écrit un Cantique sur la Légende de Sarrance, mis en musique par Darius Milhaud :

« Dans le val de Sarrance
Où les champs étagés
Encadrent les bergers,
L’onde a la transparence
D’un air toujours léger.

Or près d’un lit de pierres,
Que recouvraient les eaux,
Le plus gras des taureaux
Semblait être en prière,
A genoux, les yeux clos.

Son maître tout de suite
Alla chercher non loin
Pour le prendre à témoin
Un qui pêchait des truites
Et qui aussitôt vint.

Et tous deux sur la berge
Se penchant voient au fond
Du gave peu profond
L’image de la Vierge
Qu’ici nous honorons.

Puis à sa cathédrale
Monseigneur sous son dais
En des chants bien scandés,
De l’encens en rafales
La vierge fit porter.

Malgré ce grand spectacle
Et dès le lendemain
Notre Dame Revint
A Sarrance, ô miracle,
Sous le flot argentin.
 

 


Le paysan, le boeuf,
la statue de la Vierge

 


Le pêcheur

 

Heurs et malheurs de Sarrance

    Sur le chemin du col du Somport, l’un des grands passages des Pyrénées depuis les temps préhistoriques, Sarrance se trouve du fait même sur un des grands chemins de Compostelle.
    En 1345, des Prémontrés (moines qui font le service des paroisses et rentrent le soir au monastère) venus de l’Abbaye Saint Jean de la Castelle, près d’Aire sur l’Adour, s’installent à Sarrance. Les humbles, bergers comme à Bethléem, paysans du Béarn, pèlerins pour Saint Jacques venant de la route d’Arles, sont nombreux.
    En 1385, c’est aussi « la visite des Trois Rois Mages ». Le premier, Gaston Phoebus, lui n’est pas vraiment roi, mais c’est le prestigieux Comte de Foix et Vicomte de Béarn, seigneur des lieux ; les deux autres le sont : Charles roi de Navarre, connu dès l’époque comme « Charles le Mauvais », et Pierre IV roi d’Aragon. La table des Trois Rois n’est pas loin, en haut de la vallée d’Aspe, derrière le Pic d’Anie, qui borne leurs trois domaines.
    En 1461, le roi de France, Louis XI allant de Hendaye à Sauveterre pour se rendre à Toulouse fait un détour pour aller prier à Sarrance.
    Avec une Reine vint la littérature : Marguerite, reine de Navarre, qui visita, et probablement passa quelques jours à Sarrance. Elle en fit le cadre de ses récits de l’Heptameron comme on l’a dit plus haut. C’était le temps de la Renaissance.
    Mais avant que ne revinssent les poètes, les Guerres de religion, suscitée
par la Réforme, atteignirent le Béarn et Sarrance. Jeanne d’Albret, fille de Marguerite, et mère d’Henri IV, était passée à la Réforme. « On a brûlé quelques villages et déniché l’idole de Sarrance » (7-8 avril 1569), écrit le secrétaire de Jeanne. Sarrance est pillée et brûlée. Des règlements sévères interdisent le culte catholique en Béarn, et tous les domaines religieux sont volés par le Pouvoir en place. Achetée d’abord par un capitaine protestant, Sarrance est vendue ensuite à la Communauté de Bedous.
    L’Edit de Nantes rétablit la liberté du culte en Béarn, mais ne restitue pas les biens encore. Les Prémontrés rachètent Sarrance en 1605, et la reconstruction commence. L’église .et le cloître actuels datent de cette époque, rares et beaux exemples de style baroque en Béarn.
     Une liste de guérisons et miracles consignés par le P. Lasalle, de 1609 à 1678 témoigne du renouveau de la dévotion populaire. C’est l’époque de ce qu’on a appelé la « Contre Réforme ». Face à la rigueur protestante, c’est l’essor dans toute la France d’un catholicisme concret , « incarné » : puisque le Fils de Dieu s’est fait homme et a pris une mère, Marie, pour venir vers nous, c’est que ce Dieu est accessible. On peut confier, à cette mère, les peines et les souffrances des hommes, elle en parlera à son Fils Jésus. En 1652, Oloron est affligé de la peste et fait le vœu d’une procession à N D de Sarrance pour en être délivrée. Ce qui fut fait le 3 juin 1653.

 

Une Guérison au XVIIe siècle

    J’avais un cheval que je ne pouvais maîtriser, témoigne un homme du Comminges. Il était si sauvage qu’il me jeta un jour sur un tas de pierres si violemment que tous mes os craquèrent. J’eus recours à plusieurs éminents médecins, chirurgiens et apothicaires. Je restai dans leurs mains plus d’une année sans obtenir le moindre soulagement. Mon mal empira ; je ne pouvais plus me lever ; il m’était impossible de me tourner d’aucun côté.
    Dans ce triste état je me préparais à la mort et fis mon testament, laissant quelques petites choses selon mes moyens pour des œuvres de dévotion. Tout à coup je me souvins que j’avais passé à Sarrance, en allant en Espagne, à une époque où le culte de la religion catholique était prohibé par la malignité des Huguenots. Il n’y avait alors rien à voir en cet endroit que les traces sanglantes de leur impiété. Cependant, comme j’avais entendu parler des beaux miracles que Dieu y avait opérés par l’intercession de la Vierge, je m’étais promis de faire plus tard une demande à cette chapelle.
     Sur ce j’appris que la restauration avait eu lieu et qu’un grand concours de peuple s’y rendait de toutes parts, et je promis aussitôt à la Vierge de m’y rendre si elle m’accordait ma guérison et de lui porter l’offrande que je voulais léguer dans mon testament. A peine avais je formé ce vœu que je me sentis mieux et que je fus capable de me retourner sans effort. Je marchai ensuite pendant quelques jours avec l’assistance d’une béquille, et je me trouvai enfin complètement guéri. C’est pourquoi je suis venu ici accomplir mon vœu et remercier la bonne Vierge de ma guérison.

(témoignage recueilli par le P. Lasalle à l’époque)

La Révolution, et ensuite...

    Avec la Révolution, nouvelle épreuve. Les 5 religieux sont chassés, le Pouvoir vole de nouveau le domaine et les bâtiments et les vend comme « bien national ». Le mobilier et les objets précieux sont pris par les autorités d’Oloron. L’église, qui n’avait pas trouvé acquéreur, deviendra église paroissiale en 1797. Le monastère est acheté par un particulier, le sieur Camou. Son fils, devenu général rapportera de Sébastopol une belle icône dont il fera don à N D de Sarrance.
     Le XIXe siècle verra le rachat des bâtiments religieux en 1850 : la pieuse Zoé Camou ménagea le retour du monastère au Diocèse de Bayonne. Puis vint sa restauration. Les Pères Betharamites, fondés par le P. Garricoïts, ( après sa mort « canonisé », c’est à dire proclamé Saint par l’Eglise après une très sérieuse enquête) reçoivent la charge du sanctuaire. Les pèlerinages populaires, qui avaient continué discrètement pendant la Révolution, reprennent.
    A partir de 1860 cependant, Lourdes va commencer à devenir le grand sanctuaire marial de la France. Le chemin de fer et l’amélioration générale des transports qui permettent à beaucoup d’aller à Lourdes feront ils disparaître Sarrance ? Non, de façon plus modeste, Sarrance sera le sanctuaire marial de la vallée d’Aspe , d’Oloron et du Béarn, où l’on aime toujours venir en famille, spécialement pour la fête de l’Assomption. L’accueil proposé à ceux qui veulent le calme et la contemplation en font un lieu de retraite et de travail dans la grâce de Notre Dame de Sarrance, avec le cadre du Gave jaillissant sur les roches, de ses prairies et de ses monts.

 

Poètes et musiciens


    Ce lieu de charme et de grâce semblait attendre le retour des poètes et des artistes depuis Marguerite de Navarre. Ils vinrent : le Béarn, au tournant des XIXe vit la conversion de Duparc, le musicien, de Francis Jammes, le poète, la visite de Claudel, la musique de Darius Milhaud sur le cantique composé par Jammes…

 

Cantique à Nousté Dame de Sarrance (en Béarnais)

A vostes pès, o bonne Vierge,
Lou péléri qu’éy prousternat ;
Sus voste aütaà qué brûle u cierge,
Tout en plourant dab aboundance
Quép dits sa pène y soun chégri :
Ah ! Nousté-Dame de sarrance,
Escoutat plaà lou péleri.

La may qu’ép porte soun mainatge,
Triste, accabat dé maü hérit ;
A génous, près de vostre imatge,
Qué proumét tout, si l’y guarit,
Soun cô doulén qu’ép da d’abance ;
Si l’exaüçat b’iü héra gay !

U malhurous mingeat de frêbé,
Dens lou soun lheit qué p’ey pourtat ;
Sente Vierge, hèt donc qu’ès lhébé,
Qu’ép laüdera da tout coustat ;
En tourteyan gnaüte s’abance,
Tout accroupit, carcat dé maüs :
Ah ! Nousté Dame de Sarrance,
Guarit, guarit tous lous malaüs.

L’ouïlé d’éü soum de la mountine,
Qu’ép récoumande soun clédat,
Lou ray qu’ép lèche sa sourine,
Avant dé parti coum soldat ;
Lou cô traücat coum d’uë lance,
La sourine qu’ey toute en plous :
Ah ! Nousté Dame de Sarrance,
Gardat toupets rays y sérous.

Espiat aü houns de la capère
Aquet homi d’éüs oeilhs muillats,
Chens abè soufreiels hère,
Ah ! qué soufrieils de souns pécats !
Dou pardon soye soun espérance
Y soun refutge en sa doulou :
Ah ! Nousté Dame de Sarrance,
Ayat pietat d’éü pécadou.

Dé touts siat la may tendre y bonne,
D’éus plaà pourtans y d’éüs malaüs,
D’éüs qui marchen pès d’escaüs,
Dé la vieillesse y de l’enfance,
D’éüs qui soun près, d’éüs qui soun loueing :
Ah ! Nousté Dame de sarrance,
Dé touts, de touts pénét grand soueing.
 

 


la Vierge et l'Enfant

 

 


Rétable du Christ en croix
et de la vigne (sacristie)

 

 


La tour octogonale

 

Sarrance aujourd'hui

    Le dernier quart du XXe siècle a vu reprendre les chemins de Compostelle ; à nouveau les marcheurs s’arrêtent à Sarrance. Le Pape Jean Paul II invita, en 1989, les jeunes d’Europe à Compostelle. Un certain nombre de cars empruntèrent la route de Somport, et firent halte à Sarrance pour une messe et une visite.
    Ils purent admirer, comme peut le faire tout visiteur aujourd’hui, croyant ou incroyant, la vieille statue, et les panneaux au cadre doré. La piété et l’art naïfs des humbles du XVIIIe ont sculpté en bas relief, et peint d’admirables couleurs, le bœuf, le berger et le pêcheur. Et l’on peut lever les yeux vers le clocher aux huit pans concaves, le plus beau témoin béarnais du Baroque.

H. Guiraüt

Pour en savoir plus :
- Le Baptême, qu’est ce que c’est ?
- Prière pour aller au paradis avec les ânes de Francis Jamme