LES
CHIRURGIENS HUMANITAIRES
Claude et Marguerite de La Garaye 1675-1755 1681-1757 |
Ils portaient le titre de “ Comte et Comtesse de La Garaye ”, et exercèrent la médecine sans diplômes durant la première moitié du XVIIIème. Lui, Claude, ancien Mousquetaire du Roi, pratiquait toutes les opérations de chirurgie de l’époque, y compris le cancer ; elle, appelée avant son mariage Marguerite de Lamotte Picquet, première femme ophtalmo de France, pratiquait les opérations des yeux, spécialement la cataracte. Ils donnaient tous leurs revenus pour faire vivre et soigner les pauvres, avaient transformé leur château en hôpital, fondaient des écoles, procuraient des métiers et créaient des emplois. Madame de Genlis, dans ses “ Lettres sur l’Education, en 1782, en fera le modèle de l’humanité. Dès 1756, l’Evêque de Saint Malo avait présenté , dans une lettre pastorale, le Comte de La Garaye comme un saint dans le monde ; de l’épouse, encore en vie, il ne parlait qu’indirectement. Leur premier historien, l’abbé Carron, mettra la femme sur le même rang que le mari et leur donnera le beau nom d’ “ époux charitables ”. Aujourd’hui on reconnaît dans ce couple uni dans le don et dans l’action des pionniers de l’humanitaire. Il s’y connaissait d’ailleurs en humanitaire, cet abbé Carron le disciple des La Garaye qui , à Rennes, à la veille de la Révolution, avait créé une entreprise coopérative de filature de plus de mille personnes.
1 Pour les découvrir… un jour à Marly, en présence du Roi Louis XV. Parmi les différents angles
sous lesquels on peut les découvrir, commençons par cette étrange réunion
de travail de trois jours dans le laboratoire de chimie du roi Louis
XV à Marly, en 1731. Il y a là le roi et le comte la Garaye, le ministre
cardinal de Fleury, Chirac, premier médecin du Roi, et plusieurs autres
savants. La Garaye procède devant eux à ses expériences et le Roi lui
achète ses secrets pour 50.000 livres, somme considérable. Il s'agit
d'une méthode nouvelle pour extraire les "sels essentiels", des plantes
médicinales notamment. La Garaye est invité à continuer ses recherches
dans l'intérêt de la santé publique. Sa méthode, qui restera utilisée
en pharmacie jusqu'à la fin du XlXeme siècle, permettra par exemple
l’utilisation efficace du quinquina. A cette époque, les époux de la Garaye tiennent en effet depuis plus de quinze ans un hôpital chez eux. Le mari est chirurgien en chef, il pratique les opérations les plus importantes de l'époque. L'épouse, elle, opère les yeux, de tout ce que l'on pratique alors, elle excelle dans la cataracte et la fistule lacrymale. De plus monsieur de la Garaye travaille dans son laboratoire de “ chymie ” à produire et perfectionner des médicaments. Il a la main heureuse et met au point en plus d'une technologie générale certains remèdes efficaces, comme une sorte d'antibiotique à base de cuivre.
2 La jeunesse des époux La vie des époux avait commencé dans un tout autre style. Claude Toussaint Marot de la Garaye fut d'abord un hardi mousquetaire du Roi. La chasse était et fut longtemps sa passion. Il se distinguait par son audace à la tête des piqueux aux chasses royales. A l'escrime, il battait tout le monde, mousquetaires et maîtres d’armes.
Son père, puis ses frères
étant morts, il se retrouve à la tête d'une grande fortune et revint
s'établir dans ses domaines principaux, au château de la Garaye, sur
la paroisse de Taden , à deux kilomètres de Dinan. En 1701, il épouse
Marguerite Picquet de Lamotte, fille du très riche greffier en chef
du Parlement de Bretagne, dont le nom s’inversera bientôt.
3 la vie et la mort, Dieu existe-t-il ? Sylvie
de la Garaye, sœur de Claude, devenue Madame de Pontbriant, mettait
au monde en janvier 1710 son dixième enfant. Les la Garaye arrivent
au château de Pontbriand (qui existe encore en partie près de Dinard)
pour le baptême. Mais c'est le drame, à peine l'enfant est né, que le
père meurt.
4 L’hôpital de la Garaye En 1714, ils s’en vont faire une retraite , puis étudier ensemble à Paris la médecine et la chirurgie, elle l’ophtalmologie et lui, compléter des études déjà commencées de botanique et de chimie. Au retour, c’est fini de payer des médicaments et des soins pour les pauvres malades : la Garaye est transformée en hôpital moderne : 40 lits, une apothicairerie, une chapelle contiguë aux salles des malades, des aides soignantes, des chirurgiens, et Claude de la Garaye et chef chirurgien et médecin chef. Avec des hébergements annexes dans le voisinage, on soigne en cas de crise jusqu'à soixante malades. Les plus rebutants comme ces nombreux enfants atteints de la teigne, le comte et la comtesse les lavent et les soignent eux-mêmes. Faut-il se lever la nuit pour une urgence ? ils se lèvent autant de fois que nécessaire. Il faut de la délicatesse pour retourner un malade souffrant dans son lit, ils s'y mettent eux-mêmes- ils dirigent l'hôpital, rédigent les règles de soins, les protocoles, font eux-mêmes, chacun dans sa spécialité, les opérations importantes et délicates. Souvent, ils servent eux-mêmes le repas aux malades. Dans les débuts, ils embrassent les plaies infectées avant de les nettoyer "comme ils auraient aimé le faire pour Jésus-Christ". Car c'est au nom de Jésus-Christ qu'ils ont fait pendant plus de quarante ans, jour après jour, ce service des bras, de la science et de la charité. De toute leur âme, de toutes leurs forces, de tout leur coeur, de tout leur argent mais aussi de toute leur intelligence, ils aiment et servent comme ils l’ont promis Jésus Christ dans les pauvres. Ils ne sont pas des religieux, ils ne s’enferment pas à la Trappe, comme leur ami de Tahouët. Ils vivent cela en couple, dans leur château, dont l'argenterie et le luxe ont disparu. Ils administrent leurs biens. Mais plus ils donnent semble-t-il, plus ils ont à donner. Aucun pauvre n'est renvoyé sans rien. On donne, de façon multiple, créatrice, ingénieuse, les recteurs de plusieurs paroisses des environs reçoivent également un fonds pour donner autour d'eux. Pauvres chômeurs ? M. de la Garaye crée des emplois : murs et plantation d’un parc, landes à défricher, poterie (qui sera arrêtée à cause de la mauvaise qualité de la terre disponible), création de marais salants à l'imitation de ceux de Guérande à Saint-SuIniac et Saint-Père, dans une échancrure de la Rance ; apprentissage du tissage du coton pour les jeunes filles de Dinan, avec dotation d’installation de métier artisanal. Et enfin, formation de chirurgiens à la Garaye : il yen eut jusqu'à 18 en stage à la Garaye, qui seront recrutés ensuite partout en raison de la réputation du maître. Et pourtant, ni l'un ni l'autre ne sont diplômés de la faculté de médecine mais comme ils exercent gratuitement cet art médical, personne ne leur reproche “ l'exercice illégal ”, sur lequel on était alors, comme aujourd'hui, sévère. Guérissaient-ils les gens ? Deux thèses de médecine, de pharmacie et d’histoire leur ont été consacrées, celle de M. Bouan du Chef de Bos en 1937, et celle de M. Jehanno en 1995. Certes, ils soignaient selon la médecine de leur temps mais selon le docteur Bouan, d'après les statistiques des décès (enregistrés par les curés de Taden) il ne mourait pas plus de 11 à 27 malades par an à la Garaye, ce qui semble remarquablement peu face au nombre d'hospitalisations, à la gravité des maladies comme à la mortalité de l'époque. S'il n'y a pas de miracles connus, on peut dire que les “ médecins charitables ” avaient un talent étonnant pour guérir leurs malades !
5 Un chirurgien et un chercheur
Si
les recherches de la Garaye en chimie et pharmacie paraissent aujourd’hui
primitives, elles sont celles de son époque. Et pourtant elles seront
très utiles, par la simplicité et la régularité des méthodes proposées.
L’extraction des sels essentiels des plantes médicinales par la Garaye,
leur admnistration par extraits secs mélangés à de l’eau auront des
résultats bien supérieurs aux médications de l’époque.
6 Des humanitaires, des saints époux, des saints laïcs Alors, des époux, des chrétiens dans le monde, peuvent-ils eux aussi devenir des saints ? Le comte et la comtesse de la Garaye sont certainement de ceux dont la vie mérite d'être étudiée et dont le témoignage est déjà source d'espérance. C'est ce qu'avait pensé déjà l'évêque de Saint-Malo, Mgr de la Bastie qui, en 1756, (un an après la mort de Claude de la Garaye) écrivait lui-même la vie de ce chrétien pour la donner en exemple. (l ) "Dieu seul, mes frères, peut être l'auteur d'une vie si parfaite et d'une sainteté que le monde lui-même ne peut s'empêcher d'admirer'- Et il soulignait que cette pratique de l'Evangile s'est déroulée au milieu du monde, dans l'état de mariage, pendant quarante ans, sans négliger les devoirs de la société civile et en faisant servir à cette sainteté richesses et talents, et tout ce qui est ordinairement un obstacle". Aujourd'hui les “ chirurgiens humanitaires ” ont fait école. Médecins, chirurgiens, pharmaciens, chercheurs, époux, riches et pauvres, créateurs d'emploi peuvent trouver dans ces "époux charitables" des intercesseurs, mais aussi un encouragement à une vie plus exigeante et plus donnée. Les Chrétiens y trouvent l’ assurance que l'Evangile est une vocation pour tous. Et ils ont une grande joie de voir l'Eglise aujourd'hui, reprenant la perspective ouverte en 1756 par l'évêque de Saint-Malo raviver sur eux une lumière que deux siècles et demi n'ont pas éteinte : le Pape Jean Paul II dans son sermon à Sainte Anne d’Auray en 1996 a donné en exemple les “ époux charitables, Claude et Marguerite de la Garaye ”.
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