Qui était Saint Martin ?
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Le premier livre consacré à l’histoire de saint Martin a été écrit de son vivant, comme pour Mère Térésa ou Jean Paul II. Quand il meurt en 397, Martin, Évêque de Tours, est déjà le saint de la Gaule Romaine. Le catholicisme est alors protégé par les empereurs depuis 80 ans. Il connaît cependant de graves difficultés avec l'arianisme, hérésie répandue d’abord dans l’empire en Orient puis en Occident, qui nie la divinité du Fils, et que certains empereurs favorisent. Les chrétiens gallo-romains vivent alors essentiellement dans les villes. Le monachisme n’est encore connu en Occident que par les récits sur moines d’Egypte Martin naît à Sabaria (Hongrie actuelle) en 316 de parents païens. Son père, de simple soldat, est devenu tribun, c'est-à-dire général. A l'âge de 10 ans, Martin entre dans une église, s'intéresse à la foi et commence son catéchuménat. Il songe même à aller vivre au désert. Le général, son père, ne l'entend pas de cette oreille et met en application un édit sur l'enrôlement des fils de vétérans. Il fait arrêter son fils par la gendarmerie qui le conduit à l'armée. Martin fait donc son service dans la cavalerie, puis passe à la garde de l'empereur. Il ne dépassera pas le grade de sous-officier.
Simple catéchumène, il se comporte déjà avec humilité, servant lui-même son serviteur. En garnison à Amiens par un hiver de grand gel, il rencontre, à la porte de la ville, un pauvre mourant de froid. N'ayant plus d'argent à lui donner, “ saisissant l'arme qu'il portait à la ceinture, il partagea sa chlamyde (1) en deux, en donne un morceau au pauvre et se rhabille avec le reste. Quelques uns des assistants se mettent à rire, car on le trouvait ridicule avec son habit mutilé. ” La nuit, Jésus apparaît à Martin revêtu du demi manteau et dit aux anges qui l'entourent : “ Martin, encore catéchumène, m'a donné son manteau ! ” Cette scène, popularisée par la sculpture, la peinture et le vitrail jusqu'à nos jours, nous est racontée par Sulpice Sévère, dans sa Vie de Saint Martin(2), une biographie basée sur des matériaux de première main : “ Nous l'avons en partie interrogé nous-même, explique Sulpice Sévère, dans la mesure où il était possible de lui poser des questions, et nous avons enquêté d'autre part auprès des témoins. . . ” La Vie sera augmentée par des Lettres, et des Dialogues compléteront le tout par la voix de ses disciples et donneront la pensée spirituelle du Saint tour à tour soldat, ermite, chef de monastère, évangélisateur, et Évêque. Ces ouvrages seront pendant des siècles des "bestsellers".
Quelques années après l'épisode d'Amiens, Martin obtient de quitter l'armée (il y servait depuis 25 ans), il vient à Poitiers auprès du fameux Hilaire qui lutte contre l'arianisme - ce lui vaut à ce dernier d'être exilé pendant plusieurs années en Orient par le pouvoir impérial. Martin s'installe comme ermite à Ligugé, à quelques kilomètres de Poitiers. Il reçoit le ministère d'exorciste. Il va ensuite retrouver ses parents en Panonnie natale, et sa mère se convertit. Fidèle défenseur de la foi catholique, Martin est persécuté et expulsé par les Ariens. Il subit à nouveau des persécutions dans les environs de Milan où il a établi son ermitage. Il va alors s'installer dans l'île de Gallinaria, sur la côte Ligure. Enfin, à la nouvelle du retour d'exil de saint Hilaire, il rentre en Poitou.
Autour de lui, à Ligugé, Martin voit se rassembler de nombreux disciples qui forment une communauté à la fois de prière monacale et d'évangélisation. Avec eux Martin visite les pauvres et les malades. Homme de prière, il exerce la compassion et guérit les malades, tantôt par de simples remèdes, tantôt par l'huile des malades, et, par fois, par des guérisons extra ordinaires. Martin ressuscite même les morts. Naturellement ces "excès d'enthousiasme" du biographe Sulpice Sévère laissent les historiens sceptiques. Ce qui est certain, c'est que si saint Martin n'avait rien fait de véritablement extraordinaire, on voit mal pourquoi on aurait écrit et diffusé de son vivant un livre sur sa vie. De plus, sa renommée va le faire élire Évêque de Tours en 381, contre les usages de l'époque : il n'était pas du diocèse, il n'était pas un dignitaire gallo-romain. “ C'est la première fois, dit l'historien Michel Rouche (3), qu'un sous officier romain, et en plus un moine ermite devient Évêque en Gaule ! ”
Les chrétiens de Tours useront d'un stratagème pour attirer Martin. Faisant appel à sa compassion, quelques uns vont à Ligugé le supplier de venir prier pour un malade. Dès qu'il est sur le territoire de la cité et évêché de Tours, on le fait quasiment prisonnier et on l'emmène à l'église où aussitôt on l’élit évêque. Comme pour saint Ambroise à Milan, cette élection se fait dans un climat proche de l'émeute, et malgré l'opposition des notables gallo-romains.
Évêque, Martin n'en demeure pas moins moine : il s'installe une cellule de l'autre côté de la Loire, entre le fleuve et le coteau de Marmoutiers. Peu à peu, quatre vingt moines le rejoignent en ce lieu. C'est de là qu'à nouveau, Martin évangélise les campagnes, s'attaquant en particulier aux hauts lieux du paganisme rural. Avec son équipe de mission, ils défient la puissance des dieux païens et s'attaquent à leurs temples. Rien de fâcheux ne leur arrivant les païens émerveillés en concluent que le vrai Dieu est celui des chrétiens.
On a souvent que dit saint Martin avait fondé les paroisses rurales de France. C'est un raccourci qui est en partie vrai, mais qui risque de cacher la vérité. . . Comme l'ont très bien observé le très sérieux J. Fontaine (4) et Luce Pietri, historien remarquable de Tours (5), saint Martin a fondé, à l'époque, une "communauté nouvelle" centrée sur la prière certes, mais, tournée vers la compassion et l'évangélisation. Les villages et les campagnes sont évangélisés par ces missionnaires. Quand les conversions se produisent, on fonde sur place une église ou un ermitage et on laisse une petite "succursale" de la communauté nouvelle constituée de moines et de convertis. Avec le temps, elle se transformera en “ paroisse ”. Ainsi, “ chacun, quel que soit
son état, quelle que soit sa mission, et en quelque lieu du diocèse qu'il
exerce celle-ci, conserve le sentiment d'appartenir à une communauté dont
Martin est l'Abbé autant que l'Evêque. ” Il semble en effet que Martin
n'ait pas seulement agrégé des moines, au sens que ce mot revêt aujourd'hui.
Autour de lui, se sont également développées diverses formes de vie chrétienne,
engagées et communautaires, comme en donnent le témoignage Paulin de Nole
et Sulpice Sévère, grands propriétaires de 'Aquitaine. Concluons avec Luce Pietri, “ c'est en partie grâce à ses succès de guérisseur qui soulage la souffrance des corps que Martin a conquis son pouvoir de médecin des âmes confiées à sa vigilance sacerdotale. ” Jean Loguevel
1. Manteau
réglementaire du soldat romain.
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