NOTICE SUR SAINT JUSTIN LE PHILOSOPHE
Par Paul Monceaux
Justin, dit " le philosophe " , était en effet un vrai philosophe, de tendances et de goûts comme de pro-fession et de costume; un philosophe qui, d'abord païen, se convertit au christianisme, mais qui, après sa conversion et jusqu'à son martyre, resta philosophe.
Il était né dans les premières années du IIeme siècle, en Palestine, à Neapolis, aujourd'hui Naplouse, l'ancienne Sichem, près de Samarie. Il appartenait à une famille païenne, qui lui fit donner une instruc-tion assez complète. Grand travailleur, d'esprit ouvert et curieux, le jeune Justin se passionna pour la philo-sophie. Il suivit successivement les leçons de plusieurs maîtres, appartenant aux écoles les plus diverses. Il fut séduit surtout par l'enseignement des platoni-ciens ; mais, là encore, il ne trouvait pas toute la vérité qu'il cherchait.
Entre temps, il eut l'occasion d'assister à des scènes de martyre ; il fut très ému par ce spectacle et très frappé de l'héroïsme des chrétiens. Un jour, il rencontra un vieillard, qui lui vanta et lui expliqua la religion du Christ. Le jeune philosophe se mit à lire et à étudier les livres sacrés du christianisme, qui produisirent sur lui une grande impression. Enfin, vers 130, étant à Ephèse, il se convertit. Il avait alors environ trente ans.Entre temps, il eut l'occasion d'assister à des scènes de martyre ; il fut très ému par ce spectacle et très frappé de l'héroïsme des chrétiens. Un jour, il rencontra un vieillard, qui lui vanta et lui expliqua la religion du Christ. Le jeune philosophe se mit à lire et à étudier les livres sacrés du christianisme, qui produisirent sur lui une grande impression. Enfin, vers 130, étant à Ephèse, il se convertit. Il avait alors environ trente ans.
Devenu chrétien, et chrétien très ardent, il ne renonça pas pour cela à la philosophie, ni au costume et à la vie nomade des philosophes. Il allait de pays en pays, prêchant la doctrine du Christ, la présentant comme la seule conforme à la raison. I1 finit par arriver à Rome, où il fit un premier séjour, sur lequel nous sommes mal renseignés. Il y revint un peu plus tard, et, cette fois, s'y fixa. Il y ouvrit une école, où il enseignait à des disciples la philosophie nouvelle, qui donnait à la foi chrétienne un fondement ration-nel. Son enseignement ne fut pas du goût de tous ses confrères. On lui chercha querelle à ce propos : il eut à soutenir de très vives polémiques, souvent d'un tour personnel, contre plusieurs philosophes, surtout contre Crescens le cynique.
Apôtre batailleur, champion hardi du christianisme, auteur fécond, Justin avait composé une dizaine d'ouvrages : des livres de controverse, des apologies, un grand traité contre les hérétiques. La plupart de ces ouvrages sont perdus, et connus seulement par quelques fragments ou par divers témoignages. En revanche, on lui a attribué plus tard une série d'opuscules, qui n'étaient pas de lui, et qui nous sont par-venus sous son nom : livres édifiants ou dogmatiques, apologétiques ou polémiques.
Son oeuvre authentique, en dehors des fragments, se réduit pour nous à trois ouvrages : une grande Apologie, adressée vers 150 à l'empereur Antonin le Pieux ; une seconde Apologie, adressée au Sénat vers 155, beaucoup plus courte, sorte d'appendice à la précédente ; le Dialogue avec Tryphon, écrit vers 160, où l'auteur raconte à un rabbin sa conversion et cherche à le convaincre de la vérité du christianisme. Ces trois ouvrages sont fort importants pour l'histoire de l'apologétique et pour celle des dogmes ; car Justin est le premier qui ait exposé dans son ensemble la doctrine chrétienne, et qui ait traité rationnellement la question des rapports de la foi avec la raison. Malheureusement, l'écrivain est fort inégal. Mais, s'il décourage parfois le lecteur par l'incohérence de ses développements et par Ies maladresses de son style embarrassé, il le ramène bientôt par ses saillies
imprévues , imprévues et l'entraîne jusqu'au bout par son ardeur communicative : il a le mouvement, la vie, la passion. Style à part, c'était un homme éminent : penseur original et indépendant, avec le plus noble caractère et une âme d'apôtre.
Il fut martyrisé à Rome vers 165 Le cynique Crescens, à bout d'arguments, l'avait plus d'une fois menacé de le dénoncer comme chrétien. Justin lui--même déclare, dans sa seconde Apologie, qu'il s'attend à ce dénouement de leurs polémiques On a supposé que Crescens avait cyniquement tenu parole ; mais nous n'en avons pas la preuve. Les Actes du marityre disent seulement que, pendant une persécution, on arrêta Justin avec six autres chrétiens.
Voici les noms de ces compagnons du philosophe, dont plusieurs, tous peut-être, étaient ses disciples : un esclave dle la maison impériale, Evelpiste, originaire de Cappadoce ; un Phrygien, Hierax ; puis Chariton, Péon, Libérien; enfin, une femme, Charito, sans doute la soeur de Chariton. Aussitôt arrêtés, les chrétiens furent tra-duits devant le tribunal du préfet de Rome qui était alors Rusticus le philosophe, maître et ami de Marc-Aurèle. Au cours d'un émouvant interrogatoire, Justin et ses compagnons proclamèrent leur foi avec une fermeté aussi simple qu' inébranlable Condamnés à mort, ils furent aussitôt conduits au supplice et décapités.
On trouvera ci-dessous les Actes authentiques du martyre : transcription du procès-verbal officiel de l'interrogatoire, avec un très court préambule, ajouté après coup, sur la persécution, et une très courte notice sur le supplice. C'est le plus ancien document de ce genre que nous possédions. Malgré 1a sécheresse apparente du procès-verbal, la scène ne manque ni de grandeur ni d'éloquence.
Nous suivons l'édition de Von Gebllardt, Acta rnartyrum selecta, p. 18-21.
ACTES DE SAINT JUSTIN
et de ses compagnons
C'était le temps où sévissaient les défenseurs criminels de l'idolâtrie. Des ordres impies, visant les pieux chrétiens, étaient affichés en ville et à la campagne, enjoignant de les forcer à faire des libations en l'honneur des vaines idoles.
Donc, on arrêta ensemble les saints. On les conduisit au préfet de Rome, qui s'appelait Rusticus.
Quand ils furent devant le tribunal, le préfet Rusticus dit à Justin : " D'abord, obéis aux dieux, et soumets-toi aux empereurs ".
- Justin dit : " On ne mérite ni reproche ni condamnation, pour obéir aux commandements de notre Sauveur Jésus-Christ ".
- Le préfet Rusticus dit : " A quelle science t'adonnes-tu `l "
- Justin dit : " J'ai essayé d'apprendre toutes les sciences. Puis je me suis attaché à la science vraie des chrétiens, quoiqu'elle ne plaise pas aux gens dans l'erreur ".
- Le préfet Rusticus dit : " Et cette science -là te plaît à toi, malheureux ? "
- Justin dit : " Oui; car je m'attache à la doctrine véritable, en suivant les chrétiens ".
- Le préfet Rusticus dit : " Et quelle est ote doctrine ? "
- Justin dit : " C'est notre conception pieuse du Dieu des chrétiens. Ce Dieu, nous croyons qu'il est unique, que dès l'origine il a été le créateur et le démiurge de toutes les créatures visibles ou invisibles. Nous croyons que le Seigneur Jésus-Christ est le Fils de Dieu, le Messie annoncé par les Prophètes comme devant assister la race des hommes, comme devant être le héraut du salut et le maître de belles sciences. Moi, qui suis un homme, je parle faiblement de lui, je le sens, en comparaison de sa divinité infinie ; je reconnais qu'il y faut une puissance de prophète. Mais il y a les pré-dictions sur celui que j'ai dit être le Fils de Dieu. Et je sais que les Prophètes étaient inspirés d'en haut, quand ils ont prédit son arrivée parmi les hommes ".
- Le préfet Rusticus dit : " Où vous réunis-sez-vous ? "
- Justin dit : " Là où chacun veut, où il peut. Crois-tu donc que nous nous réunissons tous au même endroit ? Non pas. Le Dieu des chrétiens n'est pas limité dans l'espace. Il est invisible, il remplit le ciel et la terre; partout, il est adoré et glorifié par les fidèle; ".
- En quel endroit rassembles-tu tes disciples ? "
- Justin dit : " 'Moi, je demeure au-dessus d'un certain Martin, près du bain de Timothée. Depuis tout le temps que j'y demeure (et c'est mon second séjour dans la ville de Rome), je ne connais pas d'autre lieu de réunion que cette maison-là. A tous qui voulaient venir chez moi. j'ai communiqué la doctrine de la vérité " .
- Rusticus dit : " Donc maintenant, tu es chrétien ? "
- Justin dit : " Oui, je suis chrétien ".
- Le préfet Rusticus dit à Chariton : " A ton tour, Chariton. Toi aussi, es-tu chrétien ? " - Chariton dit : " Je suis chrétien par la volonté de Dieu "
Le préfet Rusticus dit à une femme, à Charito : " Et toi que répons-tu, Charito ? "
- Charito dit : " Je suis chrétienne, par la grâce de Dieu ".
- Rusticus dit à Evelpiste : " Et toi ? qu'es -tu ? "
- Evelpiste, esclave de César, répondit : " Moi je suis chrétien. Affranchi par le Christ, je partage la même espérance, par la grâce du Christ ".
- Le préfet Rusticus dit à Hiérax : " Toi aussi, es-tu chrétien ? "
- Hiérax dit : " Oui, je suis chrétien ; car j'honore et j'adore le même Dieu. "
- Le préfet Rusticus dit : " Est-ce Justin qui vous a faits chrétiens ? "
- Hiérax dit : " Moi, j'étais chrétien, et je le serai toujours ".
- Alors, Péon se leva et dit : " Moi aussi, je suis chrétien ".
- Le préfet Rusticus dit : " Quel est celui qui t'a instruit ? "
- Péon dit : " C'est de nos parents que nous avons reçu cette belle croyance ".
- Evelpiste dit : " Sans doute, j'écoutais avec plaisir les leçons de Justin ; mais c'est à mes parents que, moi aussi, je dois d'être chré-tien ".
- Le préfet Rusticus dit : " Où sont tes parents ? "
- Evelpiste dit : " En Cappadoce. "
- Rusticus dit à Hiérax : " Et tes parents, à toi, où sont-ils ? "
- Celui-ci répondit : " Notre vrai père est le Christ; notre vraie mère est notre foi en lui. Quant à mes parents terrestres, ils sont morts. Moi, je suis d' Iconion en Phrygie ; j'en ai été arraché, et je suis venu ici ".
- Le préfet Rusticus dit à Libérien : " Et toi, qu'as-tu à dire ? Es-tu chrétien ? Es-tu, toi aussi, un impie ? "
- Libérien dit : " Moi aussi, je suis chrétien. Je ne suis pas un impie, mais j'adore le seul vrai Dieu ".
- Le préfet dit à Justin : " Ecoute-moi, toi qu'on dit éloquent, toi qui crois connaître la vraie doctrine. Si tu es fouetté, puis décapité, es-tu convaincu que tu dois ensuite monter au ciel ? "
- Justin dit : " J'espère que j'y aurai ma demeure, si j'endure tout cela Je le sais : à tous ceux qui auront ainsi vécu est réservée la récompense divine jusqu'à la consommation du monde entier ".
- Le préfet Rusticus dit : Ainsi. tu t'ima-gines que tu monteras aux cieux pour y recevoir des récompenses ? "
- Justin dit : " Je ne l'imagine pas ; mais je le sais, j'en ai la certitude ".
- Le préfet Rusticus dit : " Finissons-en ; arrivons à la chose qu'on vous demande, et qui presse. Venez tous, et, tous ensemble, sacrifiez aux dieux ".
- Justin dit : " Personne, à moins de folie, n'abandonne la piété pour tomber dans l'impié-té ".
- Le préfet Rusticus dit : " Si vous n'obéissez pas, vous serez punis sans pitié ".
- Justin dit : " C'est notre désir, d'être frappés à cause de notre Seigneur Jésus-Christ, pour être sauvés. Ce sera notre salut et notre sécurité devant le tribunal plus redoutable, où le monde entier passera, de notre Maître et Sauveur. "
- De même, les autres martyrs s'écrièrent : " Fais ce que tu veux. Nous sommes chrétiens, nous ne sacrifions pas aux idoles ".
- Alors le préfet Rusticus rendit sa sentence, ainsi conçue :
" Les prévenus, n'ayant pas voulu sacrifier aux dieux en obéissant à l'ordre
de l'empereur, seront fouettés et emmenés pour être punis de la peine capitale, conformément aux lois " .
Les saints martyrs glorifièrent Dieu, puis sortirent pour aller au lieu
ordinaire des exécu-tions. Là, ils furent décapités, consommant ainsi leur martyre dans la confession du Sau-veur. Quelques-uns des fidèles, secrètement, enlevèrent leurs corps pour les déposer dans un lieu convenable, avec l'aide de la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire dans les siècles des siècles. Amen.
(Extrait de " La vraie Légende dorée ", relation de martyre traduites avec introduction et notices, par Paul Monceaux, de l'Institut, professeur au Collège de France. Editions Payot, Paris, 1928.)
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