Artiste et mystique, Pierre Goursat a vécu de 1914 à 1991. Laïc, adorateur et évangélisateur, "dans le monde sans être du monde", étudiant en antiquités, hôtelier, diffuseur de livres et éditeur, journaliste et membre de jurys de cinéma, secrétaire pendant neuf années de l’Office catholique du Cinéma, Pierre a été homme d’action et de prière: il pouvait parler de la contemplation dans la vie active.

Homme libre, comme rarement on en voit, détaché non seulement du "qu’en dira-t-on", mais aussi de toute opinion et, plus, de toute estime, il avait l’audace des créateurs et des réformateurs.

Réformateur: il a aimé l’Eglise. Jour après jour, l’eucharistie et l’adoration du Saint Sacrement le mettaient, comme Thérèse de l’Enfant Jésus dont il était le disciple, au cœur de l’Eglise. Mais, comme Thérèse d’Avila, il ne transigeait jamais avec les intérêts du Renouveau de l’Eglise.

Sa vie commence comme celle des enfants heureux. Mais très vite son père, Victor, allait quitter le foyer familial, laissant sa mère élever deux garçons et tenir un hôtel meublé place Saint Philippe du Roule. Victor Goursat était un cadet de famille du Périgord, doué, mais qui ne connaîtra jamais le succès de son frère aîné Georges. Celui-ci , connu sous le nom de Sem , était le caricaturiste le plus célèbre des années 1910-1940*. Victor lui, caricaturait, avec une verve mal maîtrisée, ceux qui auraient pu faire sa promotion. En même temps, il fourmillait d’idées, comme celle de fournir Paris en "œuf d’un jour", et mille autres trouvailles qu’il ne savait exploiter.
* On peut voir quelques-uns de ses dessins au Musée du Prieuré Maurice Denis à Saint-Germain-en-Laye.

Pierre, tiendra de lui sans doute de ce père le génie de la créativité, et de sa mère peut-être, le secret de la ténacité et du jugement qui lui faisaient, dit-on, tout réussir. "Pierre Goursat cafouille, bafouille, mais réussit tout ce qu’il entreprend" dira de lui un homme du cinéma.

Car c’est dans la critique de cinéma que Pierre donnera le meilleur de ses capacités. Directeur d’une revue de cinéma, il connaissait tout ce monde spécialisé, fréquentait les festivals, notait stratégies. A la tête, pendant neuf années, de l’Office catholique du Cinéma français, il faisait établir la cote des films, reprise par tous les journaux et périodiques catholiques. Quant aux autres, ils la copiaient tout simplement en baissant d’un point. Plusieurs metteurs en scène tenaient Pierre en estime et l’un d’eux aimait à l’avoir avec lui à certains moments de ses tournages. Le cinéma l’avait conduit aussi à organiser des débats culturels et d’évangélisation. Il en a animé beaucoup depuis son lit de malade, car il était tuberculeux et le resta pendant 25 ans. Il se levait, prenait un bain, assistait à la projection et animait le débat, rentrait en taxi pour s’aliter et, parfois, vomir le sang.

Cette maladie, contractée avant 18 ans, a rongé l’énergie extraordinaire de Pierre Goursat pendant toute sa vie sans jamais l’annihiler. Un de ses amis, dans les dernières années, lui disait: "heureusement dans un sens que tu es malade, si tu avais été en parfaite santé, tu nous aurais tous tués avec ton rythme".

La maladie fut aussi l’occasion de sa conversion. Etudiant en histoire de l’art, spécialiste des antiquités celtiques, Pierre, esthète parisien, comme son père et son oncle, s’appliquait à réussir et laissait, d’après ses dires, Dieu pour le monde. Mais il est atteint par la tuberculose. Envoyé au sanatorium du Plateau d’Assy à 19 ans, Pierre se prit soudain un jour à penser à son frère. Il avait eu, en effet, un frère, Bernard, qui était mort à l’âge de 8 ans - Pierre en avait alors 10. Et, auprès de ce lit d’hôpital, tout d’une coup, il entendit comme si Bernard lui parlait, disant "Tu ne penses plus à moi car ton cœur est devenu dur". En un moment, Pierre fut à genoux aux pieds de son lit et reçut une grâce extraordinaire de conversion. "Je n’ai jamais douté depuis."

Un long chemin cependant allait être parcouru, celui d’une formation chrétienne, digne de sa culture, d’un approfondissement et de l’apprentissage de la vie chrétienne dans le monde. Le Seigneur le conduisait. Tandis que, régulièrement, prêtres, confesseurs ou amis voulaient l’aiguiller vers le sacerdoce, Pierre était soudain confirmé clairement dans sa vocation de laïc et d’adorateur. Le dernier peut-être à le confirmer dans cette voie fut le Cardinal Suhard, qui aimait s’entourer de conseiller laïcs comme Pierre. A Montmartre, le soir, il lui montrait la ville lumière scintillant tout autour de la colline et lui disait: "Comment allons-nous les évangéliser?"

Mais les autres ne se convertissaient pas comme Pierre l’aurait imaginé : " quand je parlais à mes amis de ce que j’avais découvert, c’était comme si nous nous parlions à travers une glace épaisse, ils voyaient mes lèvres remuer mais aucun son ne passait. " De 1932 à 1972, il multiplia les initiatives avec peu de résultats en apparence. Et pendant ce temps l’Eglise extérieurement se sécularisait. Pierre voulait témoigner du Christ dans le monde, mais comme la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) des débuts, à partir de l’adoration eucharistique. Il gardait l’espérance en dépit de tout et la foi que le Sauveur sauverait le monde .

Et voici qu’au soir de sa vie - Pierre a 59 ans - l’Esprit Saint le lance dans une aventure où tout allait se multiplier à une allure vertigineuse. En décembre 1971, un Trinitaire canadien - le Père St Pierre - lui faisait découvrir le Renouveau charismatique. En février 1972, avec une jeune interne en médecine dirigeant une école d’oraison dans Paris - Martine Laffitte -, il recevait l’effusion de l’Esprit au cours d’un week-end organisé par le Père Caffarel. L’Emmanuel était né de la rencontre de ces deux personnes qui se découvrirent rapidement débordées par une vocation imprévue, incontrôlable et qui rassemblait les foules. A la Pentecôte 72 ils étaient cinq et, un an plus tard, 500. Drogués, mineurs en fugue, écologistes de la première génération, prêtres missionnaires de passage, étudiants ou jeunes professionnels arrivaient sans qu'on sut comment. C’était l’essor des groupes de prière charismatiques qui attiraient de partout ceux qui avaient soif de Dieu et ne le trouvaient pas dans la sécularisation de l’Eglise et de la Société.

A l’automne 1974 Pierre quittait son logement minuscule, mais bien parisien, du Faubourg Saint Honoré pour s’installer avec deux jeunes dans le presbytère désaffecté de la cité universitaire à Gentilly. Il avait , pour " l’Emmanuel " une vision inspirée de Communauté plus solidaire tout en restant complètement dans le monde.

L’histoire de Pierre se confond désormais avec celle de la Communauté de l’Emmanuel et des multiples initiatives d’évangélisation qu’il mène avec elle: SOS-Prière par téléphone, la revue Il est Vivant - Cahiers du Renouveau; Fidesco pour la coopération en Afrique et dans tous les continents. L’évangélisation dans la rue, d’abord boulevard St-Michel, puis sur les Champs-Elysées, et dans plusieurs capitales du monde;La radio, les cassettes et vidéo-cassettes. Avant de mourir, Pierre aura la joie de voir les premières paroisses confiées à l’Emmanuel, avec, notament, la Trinité à Paris.

Au milieu des jeunes et des familles de l’Emmanuel, Pierre avait rassemblé en effet une pléïade de jeunes gens marchant vers le sacerdoce - aujourd’hui il y a 135 prêtres et pratiquement autant de séminaristes. Des consacrées dans le célibat et des frères également - à l’image de Pierre - donnaient à la Communauté de l’Emmanuel son visage équilibré d’une association de fidèles réunissant, dans le monde, comme baptisés, toutes les vocations. Il partageait avec des évêques aussi différents que celui de l’Ile Maurice, celui d’Anvers, devenu depuis le Cardinal Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, ou encore l’évêque d’Orléans, aujourd’hui le Cardinal Lustiger, son intuition d’une force nouvelle dans l’Eglise où prêtres et laïcs se soutiendraient pour un renouveau de la vie chrétienne dans le monde, et l’évangélisation audacieuse.

La rédaction des statuts de l’Emmanuel parcourut plusieurs étapes. Pierre voyait simple et large. Rien de religieux, mais un corps solidaire ouvert au travail à la fois à l’intérieur de l’Eglise et à l’extérieur pour aller proposer la bonne nouvelle aux peu pratiquants et aux peu croyants. Le nouveau Code de Droit canonique, mettant en œuvre les intuitions et les textes du Concile Vatican II, allait permettre de réaliser une solide structure où tous les états de vie resteraient unis. A sa mort, près de 30 évêques avaient reconnu les statuts et Rome s’apprêtait à leur donner une dimension universelle. Ce sera fait, à titre expérimental en 1992, et à titre définitif en 1998.

Adoration, compassion, évangélisation, ces trois grâces données par Pierre à sa communuté devaient trouver leur accomplissement à Paray-le-Monial. Après Vézelay, en 1974, où, avec Albert de Monléon OP, il avait organisé la première session du Renouveau charismatique catholique, Pierre allait faire de Paray-le-Monial un nouveau haut lieu de la prière, de la conversion par la miséricorde et de l’évangélisation. De 1975 à 1998, on peut estimer à 200 000 le nombre des personnes venues suivre les sessions d’été de Paray-le-Monial, tandis que, tout au long de l’année, retraites et sessions spécialisées en font un lieu de renouvellement permanent des laïcs au cœur de l’Eglise.

Le renouveau liturgique de Paray, créé de 1975 à 1985 et répandu par les chants du "carnet vert", se caractérise par la joie, la louange, en même temps que par le sens du mystère eucharistique. On a donné le nom de "liturgie participative" à cette rénovation par l’élan du souffle charismatique du grand courant ecclésial catholique. En 1986, le Pape Jean-Paul II présidait à Paray une eucharistie de 130 000 personnes, et les télévisions popularisaient cette liturgie où la foi se manifestait dans la joie et mettait l’accent sur l’essentiel.

De tout cela, Pierre Goursat n’a jamais tiré gloire. Le plus souvent incompris, parfois méprisé, il est resté presque inconnu. Cet humble fondateur, aux moments des plus fortes accélérations du mouvement dont il avait, après bien des combats, accepté d’être le pilote, disait: "Quand on voit, comme responsable, le pauvre type, "l’humble vermisseau", que je suis, tout le monde comprend que je n’y suis pour rien et que c’est le Seigneur qui agit. " Prenant occasion d’une grave crise cardiaque, Pierre démissionnait en 1985 et s’abîmait dans l’adoration, jour et nuit, sur la Péniche du Mont Thabor, au Pont de Neuilly, dont son génie inventif avait fait le centre d'animation de l’Emmanuel.

Tous ceux qui ont connu Pierre se souviennent de son humour. Quand il donnait un enseignement, dans la Communauté Emmanuel, tout le monde riait pendant vingt minutes ou une demi heure, et quand il s’arrêtait, on s’apercevait qu’il avait fait passer en douceur un message fort et tout simple. Refusant tout honneur, toute reconnaissance il ne se prenait pas au sérieux et préférait passer pour un imbécile que de manquer à servir les intérêts du Christ et de la Charité, c’est à dire les mêmes. Ceci lui donnait une liberté par rapport à toutes les autorités , par rapport aux opinions religieuses , par rapport à l’estime des gens, et par rapport à ses propres idées dont il n’avait pas de peine à changer. Seuls comptaient la compassion pour les cœurs et pour les âmes, l’évangélisation et le désir de la réforme de l’Eglise. Il avait coutume de passer en adoration la nuit de longues heures où l ’ Esprit Saint sans doute trouvait un cœur disponible pour l’inspirer. On comprend alors son audace, sa largeur de vue et son exigence de vérité qui lui donnaient dans la charité ce regard si profond sur les personnes et si aigü sur l’avenir du christianisme.

Il était né un 15 août et mourut discrètement un matin du 25 mars. Entre ces deux grandes fêtes de l’Assomption et de la Visitation s’était écoulée la vie de celui qui, laïc, avait donné à l’Eglise, avec la fondation de la Communauté de l’Emmanuel, le secret d’une vie mystique dans le monde et l’audace d’une évangélisation incarnée dans toutes les dimensions de l’homme. Et à l’aube du XXIe siècle, il a jeté les bases d’une nouvelle dynamique prêtres-laïcs.

Les saints que Pierre aimait à donner en exemple ou à citer : Thérèse de Lisieux et la Charité dans les petites choses, Marie de l'Incarnation et la mystique d'union à Dieu dans la vie active, Saint François de Sales et la sainteté dans le monde, avec le refus des rigorismes affichés, "ne rien demander, ne rien refuser". .Il aimait aussi la sagesse de St Vincent de Paul qui avait réussi à éviter les pièges des règles et apparences religieuses en faisant des Dames de la Charité "de simples filles , sans vœux"; il s'inspira de tous ceux ci pour lancer la barque de l'Emmanuel vers l'océan du 21eme siècle.

 

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