Crèche
de Saint Segal (Finistère), photo Couix
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Il y avait une fois
un quatrième Roi-Mage ...
L'histoire ne le dit pas, mais l'histoire ne peut pas tout dire. Le
quatrième Roi venait d'encore plus loin que les trois autres
Rois. Il arrivait de l'extrémité des Gaules, autrement
dit du bout du monde, d'un pays nommé Pelloc'hoaz. Plus loin
que son royaume, il n'y avait plus que la mer, et quelques îles,
où criaient des nuées de goélands, des îles
où l'on disait que s'arrêtaient les âmes des défunts
avant que les anges de Dieu ne les appellent pour le ciel.
Or le Roi de Pelloc'hoaz ayant été averti en songe de
la venue sur la terre du Roi des Rois, que le monde entier attendait,
décida de se mettre aussitôt en route vers le lieu qu'une
Etoile nouvelle, soudainement apparue, et d'une brillance sans pareille,
lui montrerait. Le Roi choisit, pour l'offrir à l'Enfant-Dieu,
trois perles rares, les plus précieuses de tous les trésors
hérités de ses pères.
L'une était semblable à la nacre rose. Elle avait l'éclat
et la délicatesse de tons que l'on voit à la mer au lever
du jour, devant Carantec et Callot, dans cette partie de la baie de
Morlaix qui se nomme le Paradis. La perle était en forme de coeur
et en elle palpitait tout ce qui fait la joie et la douleur du monde.
C'était une perle vive, et, en l'offrant, le Roi de Pelloc'hoaz
voulait offrir ce qu'il avait le plus à coeur, ses affections
et ses soucis, ses bonheurs les plus intenses et ses souffrances les
plus secrètes.
La deuxième perle était de couleur verte. Comme les prairies
de Trogriffon dans un matin de givre, ou le val de Bigodou, sous le
soleil d'octobre. En elle se miraient la campagne et les fleurs, la
vie animale et la douceur des choses. En l'apportant au Fils de dieu,
le Roi voulait lui faire remise de toutes ses possessions terrestres,
non seulement ses propres richesses, mais encore la création
tout entière, ce que de son donjon surplombant les flots, ils
pouvait admirer à loisir. Le Roi se disait que si les remous
de la mer sont si puissants, et si grandioses les couchers de soleil
entre Kerrec-Hir et l'Ile de la Vierge, combien plus somptueux encore
étaient les hauts-fonds où des poissons zébrés
d'or et d'argent frétillaient entre les algues de soie vivante,
battant comme bannières au vent parmi d'étincelants trésors
oubliés. La perle aux irisations vertes chantait les splendeurs
du monde visible et celles de l'invisible, et le Roi voulait la donner
parce qu'en elle il restituait au Créateur amour pour amour.
La troisième perle était blanche. Ou plutôt elle
était transparence. Elle n'était pas la lumière,
mais elle diffusait la lumière. En la regardant, on était
éclairé. On voyait le chemin qu'il convenait de prendre,
le conseil que l'on pouvait proposer, la solution que depuis longtemps
l'on cherchait. Au moyen de cette perle, la vie devenait simple, les
choses trouvaient leur place et les rapports entre les êtres,
leur limpidité originelle. En la présentant au Nouveau-Né,
le Roi désirait lui remettre toute sa sagesse, son intelligence
et son esprit.
Donc, serrant dans sa cassette ces trois perles uniques, le Roi de Pelloc'hoaz
se mit en marche. Le voyage, vous le pensez bien, fut très très
long et, plus d'une fois, le cortège dût s'arrêter
en chemin, à cause d'événements imprévisibles.
Lorsqu'enfin il arriva dans le pays où l'étoile s'arrêta,
le Roi perçut une étrange clameur qui s'élevait
des villes et des villages. C'était comme un immense pleur que
rien ne pouvait consoler. Le Roi en eut le cur déchiré
et il se demandait ce que cela pouvait être, lorsque l'un de ses
hérauts vint lui dire qu'un ordre barbare, émanant d'Hérode,
avait répandu la mort dans les maisons des Israëlites, en
massacrant tous les petits garçons de moins de deux ans. A peine
le héraut avait-il achevé son effrayant récit,
qu'une femme au visage décomposé par l'horreur, fit irruption
dans la salle de l'auberge où le Roi s'était arrêté.
Elle serrait sur son cur un enfant aux yeux affolés et
elle se disait poursuivie par les tueurs d'Hérode.
En effet, à la porte , arrivèrent les mercenaires d'Hérode,
des hommes à la face de bêtes, tenant des épées
rougies par le sang. Ils poursuivaient la jeune mère et avaient
ordre de mettre à mort le petit juif. Le Roi de Pelloc'hoaz leur
fit face. Les brutes ne voulaient pas démordre: il leur fallait
l'enfant. Alors le Roi se fit apporter sa cassette et il en sortit la
perle rose. Si rare était sa beauté que les mercenaires
aussitôt jugèrent qu'ils ne trouveraient pas au monde une
occasion de ce prix et qu'ils pouvaient subir jusqu'à la fin
les ordres d'Hérode sans recevoir jamais pareille récompense.
Ils se saisirent de la perle et laissèrent leurs épées
sur le seuil de l'auberge.
Le Roi de Pellôc'hoaz poursuivit son chemin, espérant découvrir
l'Enfant-Dieu. Comment s'y prit-il et pourquoi l'étoile cessa-t-elle
de briller au-dessus de sa tête? Il ne comprit pas. Toujours est-il
qu'une fois, entrant dans un village, il croisa un cortège insolite
: une escouade de soldats emmenait un jeune homme, qui se débattait
et criait. Derrière eux venait un groupe de personnes entourant
une femme d'âge, sans doute la mère du prisonnier. L'homme
qu'on emmenait, en effet, était son seul fils, et elle était
veuve. Il avait commis un vol, en effet, car ils étaient pauvres,
et n'avaient plus rien pour vivre. En com prenant cela, le Roi de Pelloc'hoaz
fut ému, et, bien qu'il ne pût approuver le vol, il n'approuvait
pas plus la brutalité des gardes qui emmenaient l'homme, et il
leur demanda de laisser libre le voleur. Comme les soldats refusaient,
le Roi leur proposa un grand prix pour rançon du prisonnier.
Les soldats refusaient toujours. Alors le Roi ouvrit sa cassette et
en sortit la perle aux tons verts. Les gardes, subjugués, évaluèrent
sur-le-champ la fortune que représentait le joyau et acceptèrent
de rendre le jeune homme à sa mère.
Le Roi n'avait plus désormais à offrir au Fils de Dieu,
que la seule perle blanche. Il chercha et chercha longtemps l'enfant
pour lequel il avait quitté son château près de
la mer, son pays fleuri de bruyère, posé au bout du monde,
il chercha bien pendant trente ans, dans la région où
l'étoile l'avait conduit.
Un jour qu'il approchait de la Cité de Paix, il vit accourir
à lui une toute jeune fille qui se jeta dans ses bras. Elle fuyait
devant des hommes qui l'assaillaient de coups de pierre, car ils l'accusaient
d'avoir trahi son père alors que ses parents, des gens très
pieux, l'avaient promise en mariage à un riche vieillard de leur
parenté. La jeune fille ne voulait pas mourir et elle suppliait
le Roi de Pelloc'hoaz de lui sauver la vie. Le Roi eut beau présenter
aux poursuivants toutes les raisons de ne pas frapper la jeune fille
avant de s'être assuré que leurs dires étaient justes
et non des accusations fausses portées par des jaloux, rien n'y
fit. Les accusateurs étaient d'autant plus féroces qu'ils
avaient la loi pour eux et que certains faisaient profession de justice.
Alors le Roi de Pelloc'hoaz résolut de se défaire de la
dernière perle ...
Lorsqu'il la montra aux furieux, ceux-ci reculèrent, stupéfaits.
Leurs yeux flambaient de convoitise devant la perle lumineuse que le
Roi tenait entre ses doigts. "Allez!" leur dit-il, en leur
remettant le trésor, tandis que la jeune fille, haletante, s'évanouissait
entre ses bras.
C'est à ce moment-là que le Roi entendit une rumeur qui
provenait d'une ruelle au bas de la cité. C'était des
cris, des vociférations, des sifflets, accompagnant la montée
d'un condamné à mort que l'on traînait hors les
murs de la ville pour le supplice de la croix. Le répugnant cortège
approchait. Le Roi de Pelloc'hoaz vit l'homme que l'on menait à
la mort. Et l'Homme tourna vers lui son visage, Il posa sur lui son
regard. Et le Roi sut que c'était lui. C'était l'Enfant
qu'il avait si longtemps cherché!... Voilà ce que les
hommes en avaient fait!...
Le Roi de Pelloc'hoaz ouvrit les mains: il n'avait plus rien, plus rien
à offrir en échange de la vie du Fils de l'Homme. fl avait
tout donné en route. Alors sur le visage indescriptible de Jésus,
le Roi vit ses trois perles. Elles brillaient, intactes, plus riches
et lumineuses que dans l'écrin de la cassette, et comme vibrantes,
toutes les trois, de ce qu'il avait voulu apporter à l'Enfant.
Il entendit une voix qui lui disait : "Va en paix, ton offrande,
je l'ai bien reçue! "
Le Roi de Pelloc'hoaz comprit que tout ce qu'il avait fait pour les
hommes au long du chemin, c'était à Dieu qu'il l'avait
fait.
Dominique
de Lafforest
Voir aussi : - Questions
sur Noël
- Joyeux
Noël
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