A Douvres la Délivrande, à quelques kilomètres d’une des plages du débarquement se trouve une des plus belles œuvres d’art religieux de la première moitié du XXe siècle : la chapelle de la Vierge Fidèle. En 1930, l’artiste René Lalique y réalise un Christ en verre translucide, un retable d’autel, un tabernacle et des vitraux constituant autour de ce Christ une chapelle de lumière.
Les bombardements et combats du débarquement, en juin et juillet 1944, laissent providentiellement la chapelle debout et sans dommages apparents. Toutefois il apparaîtra plus tard que les vitraux se sont détériorés. Aujourd’hui la chapelle a repris l’essentiel de son aspect original grâce à une restauration menée de 1995 à 2003.
Qui était René Lalique ?
René Lalique, 1860 – 1945, est né à Ay, en Champagne. Dès 16 ans il est apprenti chez de grands bijoutiers à Paris tout en suivant les cours l’Ecole des Arts décoratifs. Il va à ensuite à Londres et entre à Sydenham Art College.
A Paris, à partir de 1890 il signe ses propres bijoux. Il participe avec la maison Bing à l’aventure de « l’Art Nouveau », et acquiert bientôt une grande renommée. Il ouvre sa boutique « Lalique».
Il s’intéresse au verre, et monte un atelier de verrerie. Il crée en verre des bijoux, des flacons pour les parfumeurs (Coty), des décorations de salons de transatlantiques (Paris, Ile de France, Normandie), de wagons de l’Orient Express. Il fabrique d’étonnants et somptueux des bouchons de radiateurs de voitures…
A partir de 1925 il crée des objets, vases, coupes, éléments de décoration en verre satiné. En 1929 il invente un procédé de vitraux en carreaux encadrés de métal, qu’il mettra en œuvre dans la Chapelle de la Vierge Fidèle à Douvres La Délivrande en 1930. C’est alors qu’il donne son fameux Christ de Lumière.
En 1932 Lalique réalise les fontaines du Rond Point des Champs Elysées, décore l’église saint Mathieu à Saint Hélier en Jersey. Au Japon, le prince Asaka Yasuhiko lui commande des portes pour son salon.
Ainsi tourne autour de la terre l’histoire de l’art : c’est en partie du Japon et de ses oeuvres d’art, que l’on commençait à découvrir alors, que la maison Bing avait en 1895, avec Lalique en particulier, développé à Paris l’Art Nouveau.
La Chapelle de la Vierge Fidèle
La Chapelle de la Vierge Fidèle se trouve à Douvres la Délivrande, entre Caen et la mer. Elle a été bâtie au milieu des bâtiments d’un orphelinat et d’un pensionnat pour jeunes filles. C’est là qu’a été fondée par Henriette d’Osseville la Communauté de la Vierge Fidèle en 1831.
Pour le centenaire de leur fondation, les sœurs souhaitèrent décorer le chœur de la chapelle, construit à la fin du XIXe, mais jamais terminé. Elles demandèrent à René Lalique de leur faire un crucifix pour mettre sur l’autel neuf. Lalique accepta, mais en demandant de pouvoir décorer lui-même tout le chœur… On avançait dans l’inconnu, tant sur le plan de l’œuvre que sur celui des finances. Mais tout finit bien : le Christ et tout l’ensemble du décor de verre dans lequel il était inséré s’avérèrent, tant sur le plan de l’inspiration religieuse que sur le plan de l’art, un chef d’œuvre ; et Lalique ne demanda qu’une petite participation financière aux sœurs.
L’ensemble réalisé par Lalique comprenait : le Christ en verre, en dessous du Christ et sur l’autel, un retable de 1m20 de haut de part et d’autre du Tabernacle ; une lampe de sanctuaire suspendue, de chaque côté de l’autel deux colonnes, en avant, vers la nef, une table de communion, et en arrière, trois vitraux dans de hautes fenêtres. Le tout en verre translucide et verre satiné selon la conception originale de lalique.
Le motif décoratif est unique : des lys pour les vitraux et les éléments décoratifs, sauf bien sûr le Crucifix, le tabernacle et la lampe du sanctuaire.
Le Christ de Lumière
Ce Christ a été exposé au Salon de 1930, avec un modèle réduit du cadre d’ensemble. Grande pièce de verre de 98 cm de haut et 58 de large, il est en verre translucide avec des parties sculptées en creux et dépolis. Lalique a fait un Christ crucifié très réaliste, mais en même temps il lui a donné une expression mystique.
Les deux textes de l’évangile qui peuvent le mieux donner le sens de cette œuvre sont :
« Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. » (Evangile selon saint Jean, Chapitre 8, verste 12)
« Ma vie nul ne me la prend mais c’est moi qui la donne. » ( év. De St Jean, ch. 10, v. 18)
Les vitraux, le retable, la table de communion
Appliquant un procédé qu’il avait breveté en 1929, Lalique a fait les vitraux d’une façon tout à fait nouvelle pour l’époque : des blocs de verre encadrés dans des montants métalliques.
Vitraux, colonnes, panneaux de l’autel et de la table de communion sont composés des mêmes éléments de base : pavés de verre demi-cristal de 20cm sur 17 encadrés dans des montants de métal chromé. L’ensemble vertical est constitué de lys, les fleurs surmontant une tige avec des feuilles dont le nombre varie avec la hauteur.
Le Tabernacle et la lampe
Le Tabernacle est orné d’une colombe, symbole de Saint Esprit. La colombe est sculptée en verre granuleux, les rayons qui en jaillissent en verre satiné. Ce Tabernacle [où l’on conserve les hosties consacrées] était autrefois au milieu de l’autel, sous le crucifix, entouré des panneaux-retable. Il se trouve aujourd’hui sur un côté du chœur.
La lampe du sanctuaire est une coupe de verre suspendue. Ce sont également des fleurs de lys qui l’ornent, traitées d’une façon différente de celle des vitraux.
Les Chandeliers
Sept chandeliers ont été également créés par Lalique, dont six sur l’autel ; ils sont en bronze.
Aujourd’hui
Bombardements et canonnades pendant le débarquement et jusqu’à la prise de Caen en 1944 avaient épargné la chapelle et les bâtiments de la Vierge Fidèle. Cependant avec le temps on s’aperçut que les vitraux avaient souffert. Des ébranlements, des oxydations du verre, des éclatements des montures métalliques se manifestèrent. A la suite du classement aux Monuments historiques en 1988 une restauration a pu être effectuée. Les montants métalliques ont été remplacés, les carreaux abîmés recuits ; l’ensemble Lalique est presque complet, hormis des éléments de la table de communion qui ont servi à la restauration des vitraux.
La statue de la Vierge Fidèle et le vœu de Monseigneur de Quelen - Notre Dame d’Afrique
Sur le côté gauche du chœur, dans le transept, se trouve une très belle statue en bois de la Vierge Fidèle. Derrière elle, un panneau de mosaïque de Mauméjan, artiste remarquable aussi, dont on trouve les mosaïques en particulier à Paray Le Monial, dans la chapelle de la visitation, et dans l’église des Salésiens à Paris, dans le XXe.
Cette Vierge Fidèle est la protectrice de la fondation religieuse. Une histoire lui est rattachée également avec Mgr de Quelen, archevêque de Paris, qui demanda aux sœurs, alors au tout début, de prier la Vierge Fidèle, pour la conversion du Prince de Talleyrand, évêque d’Autun avant la Révolution, ministre des affaires étrangères du Consulat, de Napoléon, puis de Louis XVIII, acteur essentiel du Congrès de Vienne. Il avait abandonné le sacerdoce et s’était marié.
A l’issue d’une messe à la chapelle des sœurs, Mgr de Quelen faisait la promesse suivante : « Si la Vierge Fidèle m’obtient la grâce implorée depuis longtemps dans mes prières de la conversion du Prince de Talleyrand et le retour au bercail du grand renégat que j’ai beaucoup connu et beaucoup aimé, je reviendrai ici apporter une statue de la Vierge fidèle… »
Talleyrand, sui avait déjà écrit dan son testament « je meurs dans la religion catholique apostolique et romaine », finit par signer un acte de regret et se confesser avant sa mort.
Mgr de Quelen fit donc faire une statue par Gallien Choiselat. Cette statue ressemble un peu à celle de la médaille miraculeuse, selon les indications de Catherine Labouré. C’est précisément Mgr de Quelen qui le 27 novembre
avait approuvé la médaille.
Sur le socle de cette statue, érigée dans le parc on peut lire « j’ai retrouvé ma brebis qui était perdue ».
Deux autres exemplaires de la statue ont étés offerts par Mgr de Quelen : l’une se trouve à Paris rue Notre Dame des Camps, chez les sœurs de Bon Secours. L’autre après un périple se trouve depuis 1866 à Alger, elle est devenue « Notre Dame d’Afrique », dans la Basilique Notre Dame d’Afrique.
Remerciements
Merci aux sœurs de la Vierge Fidèle, et à Patrick et Marie Luce des Pallières qui m’ont donné informations et une précieuse documentation.
Pour en savoir plus :
« A la Délivrande, Lalique et la Vierge Fidèle », numéro spécial de la revue Art de Basse-Normandie n° 132, Caen, 2005. Photos, notices historiques. L’essentiel de la présente notice est puisé dans les articles de Michel Tellier dans ce numéro spécial.
Art de Basse-Normandie, J Pougheol, 49 rue Canchy, 14.000 CAEN.