Geneviève
de Rustéfan
Dialecte de
Tréguier
(Voir
aussi Chateau en ruine de Rustefan)
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ARGUMENT
Au milieu de la paroisse
de Nizon, près de Pont-Aven, en Cornouaille, on voit s’élever
le château en ruines de Rustéfan. Il est le sujet de quelques
traditions qui ne sont pas sans intérêt. Ainsi le peuple dit
qu’anciennement on avait coutume de danser fort tard sur le tertre du
château, et que si l’usage a cessé, c’est que les danseurs
aperçurent, un soir, la tête chauve d’un vieux prêtre,
aux yeux étincelants, s’avançant pour les regarder, à
la lucarne du donjon. On ajoute à cela qu’on voit vers minuit, dans
la grand’salle, une bière couverte d’un drap mortuaire, dont quatre
cierges blancs, comme on en faisait brûler pour les filles nobles,
marquent les quatre coins, et qu’on voyait jadis une jeune demoiselle, en
robe de satin vert garnie de fleurs d’or, se promener au clair de la lune
sur les murailles, chantant quelquefois, et plus souvent pleurant. Quel
mystérieux rapport peut-il y avoir entre ces deux vagues figures de
prêtre et de jeune fille? La ballade qu’on va lire nous l’apprendra.
I
Quand le petit Iannik
gardait ses moutons, il ne songeait guère à être
prêtre.
Je ne serai, certes,
ni prêtre ni moine; j’ai mis mon esprit dans les jeunes filles.
Quand un jour sa mère
vint lui dire: Tu es un finaud, mon fils Iann;
Laisse là ces
bêtes, et viens à la maison; il faut que tu ailles à
l’école à Quimper;
Que tu ailles étudier
pour être prêtre, et que tu dises adieu aux jeunes
filles. |
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JENOVEFA RUSTEFAN
IES TREGER
I
Pa oa potr Iannik gad
he zenvet
N’en doa ket koun
da vean beleget.
Ne vinn,
a-vad, belek na manac’h,
Laket em euz ma
spered er plac’h.
Pa zeuaz he vamm
ha larez d’ean:
Te a zo
eur potr fin, ma mab Iann;
Lez al loened-ze,
ha deuz d’ar ger,
Evit monet da skoul
da Gemper;
Vit mont da skoul
da vean beleget;
Ha lavar kenavo
d’ar merc’hed.
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II
Les plus belles filles
de ce pays-là étaient alors les filles du seigneur du
Faou;
Les plus belles filles
qui levaient la tête, sur la place, étaient les filles de du
Faou.
Elles brillaient près
de leurs compagnes, comme la lune près des étoiles.
Chacune d’elles montait
une haquenée blanche, quand elles venaient au pardon, à
Pont-Aven;
Quand elles venaient au
pardon, à Pont-Aven, la terre et le pavé sonnaient;
Chacune d’elles portait
une robe de soie verte et des chaînes d’or autour du cou.
La plus jeune est la plus
belle; elle aime, dit-on, Iannik de Kerblez.
J’ai eu pour amis
quatre clercs, et tous quatre se sont faits prêtres;
Iannik ar Flécher
est le dernier; il me fend le cœur.
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II
Braoan merc’hed a voa
er vro-ze,
Merc’hed otro ann
Faou a-neuze;
Braoan merc’hed
a zave ho fenn,
Voa merc’hed ann
Faou, war ann dachen.
Hi a dole sked
dreist ar merc’hed,
Evel ma ra’l loar
dreist ar stered.
Ha gant-he peb
a inkane gwenn,
O tont d’ar pardon
da Bond-Aven;
O tont d’art pardon
da Bond-Aven,
A grene ann douar
hag ar vein;
Gant he peb a vroz
c’hlaz a zeien,
Ha karkanio aour
war ho c’herc’hen.
Ar iaouankan, hounez
ar braoan;
Iannik Kervlez
a gar, a glevann.
Pevar mignon
kloarek am euz bet,
Hag ho fevar a
ma int beleget;
Iannig ar Flecher,
ann divezan,
A laka va c’halon
da rannan. |
III
Comme Iannik allait recevoir
les Ordres, Geneviève était sur le seuil de sa porte;
Geneviève était
sur le seuil de sa porte, et y brodait de la dentelle,
De la dentelle avec du
fil d’argent. (Cela couvrirait un calice à merveille).
Iannik ar
Flécher, croyez-moi, n’allez point recevoir les Ordres;
N’allez point recevoir
les Ordres, à cause du temps passé.
Je ne puis retourner
à la maison, car je serai appelé parjure.
Vous ne vous souvenez
donc plus de tous les propos qui ont couru sur nous deux?
Vous avez donc perdu
l’anneau que je vous donnai en dansant?
Je n’ai point perdu
votre anneau d’or; Dieu me l’a pris.
Iannik ar
Flécher, revenez, et je vous donnerai tous mes biens;
Iannik, mon ami, revenez,
et je vous suivrai partout;
Et je prendrai des sabots,
et m’en irai avec vous travailler.
Si vous n’écoutez
pas ma prière, rapportez-moi l’extrême-onction.
Hélas! je
ne puis vous suivre, car je suis enchaîné par Dieu;
Car la main de Dieu me
tient, et il faut que j’aille aux Ordres.-
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III
Pa voa Iannig o vont
d’ann eurzo,
Jenovefa voa war
he zreujo;
Jenovefa voa war
he zreujo,
Hag a c’hrouic-hi
dentelezo,
Hag ho brode gant
neuden árgant:
(Da c’holoi eur
c’halir e vent koant).
Iannig ar
Flecher, ouz-in sentent;
Da gemer ann eurzo
na it ket;
Da gemer ann eurzo
na it ket,
Enn abek d’ann
amzer dremenet.
Distrei
d’ar ger me ne hallann ket,
Pe vinn hanvet
ar gaouier touet.
N’hoc’h euz eta koun euz ann holl draou?
A zo bet laret
war-n-omp hon daou?
Kollet hoc’h euz
eta ar walen
’'M euz roet
d’hoc’h e-kreiz anu abaden?
Ho kwalen
aour n’am euz ket kollet?
Doue neuz hi digan-in
tennet.
Iannig ar
Flecher, distroet endro,
Ha me roio
d’hoc’h va holl vado;
Iannig, va mignon,
distroet endro,
Ha me ielo
d’hoc’h heul e peb bro;
Ha me gemero boteier
koat,
Ha me iei
gen-hoc’h da labourat.
Ma na zentet ked
ouz va goulenn,
Digaset d’i-me
ar groaz-n-ouen.
Sivoaz!
hoc’h heulian ne hallann ket,
Rag aberz Doue
onn chadennet;
Hag gand dorn Doue
em onn dalc’het,
Ha d’aun eurzo
eo red d’in monet. |
IV
Et en revenant de Quimper,
il repassa par le manoir.
Bonheur, seigneur
de Rustéfan, bonheur à vous tous, grands et petits!
Bonheur et joie à
vous, petits et grands, plus que j’en ai, hélas.
Je suis venu vous prier
d’assister à ma messe nouvelle.
Oui, nous irons
à votre messe, et le premier qui mettra à l’offrande sera
moi.
Je mettrai à
l’offrande vingt écus, et votre marraine, ma dame, en mettra dix;
Et votre marraine en mettra
dix pour vous faire honneur, seigneur prêtre!
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IV
Hag o tont endro euz a
Gemper,
E teuaz adarre
d’ar maner.
Eurvad,
otro maner Rustefan,
Eurvad
d’hoc’h holl dud, braz ha bihan
Eurvad ha joa
d’hoc’h, bihan ha braz,
Muioc’h evit zo
gan-in, sivoaz!
Me zo deuet d’ho
pedi, d’ann de,
Da zonet d’am oferen
neve.
Ia!
d’hoc’h oferen ni a ielo,
Kentan brofo er
plad me a vo.
Me a brofo er plad
ugent skoed,
Hag ho maeronez,
va itron, dek;
Hag ho maeronez
a brofo dek,
Da rei enor
d’hoc’h, otro belek. |
V
Comme j’arrivais près
de Penn-al-Lenn, me rendant aussi à la messe,
Je vis une foule de gens
courir tout épouvantés.
Hé! dites-moi
donc, vous, bonne vieille, est-ce que la messe est finie?
La messe a
été commencée; mais il n’a pas pu la finir;
Mais il n’a pas pu la
finir; il a pleuré sur Geneviève,
Et, en vérité,
il a mouillé trois grands livres des larmes de ses yeux.
Et la jeune fille est
accourue, et elle s’est précipitée aux genoux du
prêtre:
Au nom de Dieu,
Iann, arrêtez! vous êtes la cause, la cause de ma mort!
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V
Pa oann digouet e-tal
Penn-al-lenn,
O vonet ive d’ann
oferen,
E weliz kalz a
dud o redek,
Hag hi enn eunn
estlamm braz meurbed.
Na c’hui,
gregik koz, d’in leveret,
Nag ann oferen
zo achuet?
Ann oferen
a zo deraouet,
Hogen he achui
n’euz gallet;
He achui n’en deuz
ket gallet
Goelan da Jenovefa
neuz gret,
Ha tri leor braz
en deuz treuzet, ‘vad,
Gand ann daero
euz he zaoulagad.
Ken a zeuaz ar
plac’h o redek,
Ha’ gouezaz da
zaoulin ar belek.
Enn han
Doue! Iann, distroet endro
C’hui zo kiriok,
kiriok d’am maro! |
VI
Messire Jean Flécher
est recteur, recteur maintenant au bourg de Nizon;
Et moi, qui ai composé
ce chant, je l’ai vu pleurer mainte fois;
Mainte fois je l’ai vu
pleurer près de la tombe de Geneviève. |
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VI
Ann otro Iann Flecher
zo person,
Person eo breman, e borc’h Nizon;
Ha me am euz savet ar wers-ma,
M’euz hen gwelet meur wech oc’h oela;
Meur wech m’euz hen gwelet oc’h oela;
Tostik-tost da ve Jenovefa. |
NOTES
Les Flécher habitent
toujours la paroisse de Nizon; ce sont de bons et honnêtes paysans.
Ils se souviennent d’avoir eu un prêtre dans leur famille, ce
qu’atteste d’ailleurs un calice sculpté sur le linteau de la porte
de leur maison, mais ils ne connaissent rien de son histoire; ils savent
seulement qu’un seigneur du pays contribua à payer son éducation
cléricale. Ce seigneur, dont la femme était, selon notre ballade,
marraine du jeune clerc Iannik, aura craint les suites de l’amour de sa fille
pour le petit paysan, et y aura mis un terme en le faisant entrer dans les
Ordres sacrés. Quant à l’héroïne de la ballade,
nous manquons de documents qui nous permettent d’indiquer précisément
l’époque où elle vivait. Un grand échanson de France
de sa famille et de son nom possédait, en 1426, le château des
Rustéfan; voilà tout ce que nous apprend le registre de la
Réformation de la noblesse de Cornouaille. Mais Jean Flécher
ne se trouvant pas porté sur la liste des recteurs de cette paroisse,
dont nous avons les noms depuis l’an 1500 jusqu’à ce jour, il y a
lieu de croire que les événements racontés dans la ballade
se sont passés antérieurement. Qu’ils aient été
chantés peu d’années après être arrivés,
on n’en pourrait douter, puisque le poète nous assure qu’il a vu le
prêtre pleurer près du tombeau de Geneviève. Ce poète,
né en Tréguier, comme l’atteste le dialecte qu’il a suivi,
habitait évidemment alors en Cornouaille, et peut-être Nizon
même, où la ballade est restée des plus populaires. |