I - Une jolie
ville [ 187O]
Parmi
les petites villes de Bretagne, Redon se distingue par un caractère
tout particulier.
Redon, c'est la ville des marais, doucement assise au bord de la Vilaine,
cernée par les grandes eaux pendant l'hiver, entourée
de verdure pendant l'été. Si quelque étranger visite
votre ville aux approches du printemps il est
surpris du paysage à la fois singulier et charmant que présente
à cette époque Redon.
La
.voie ferrée venant de Rennes traverse D'immenses marais couverts
d'eaux, au dessus desquels surnagent des clôtures verdoyantes,
des villages forment des presqu'îles et çà et là
de véritables îles où viennent aborder dans de petits
bateaux les laborieux paysans du pays.
Je ne suis jamais entré
à Redon sans me rappeler Venise, cette magique cité d'Italie
que fondèrent nos ancêtres de Vannes, si l'on en croit
notre cher poëte Brizeux, qui chantait sur le Lido:
" Gaulois-Italiens ? savez-vous qui vous êtes ? .
De graves érudits vont répétant chez nous :
" Oui, les Vénitiens sont enfants des Vénètes
"
( La Fleur d'or)
Les abords de Redon ressemblent
en quelque chose, je vous assure, aux abords de Venise. Pour entrer
à Redon il faut parcourir les longues chaussées d'Avessac
littéralement baignées par les eaux, comme il faut, pour
entrer à Venise, suivre le fameux viaduc long de 3,600 mètres,
justement appelé le Grand-Pont et courir ainsi en chemin àe
fer pendant 10 minutes au dessus de la mer adriatique.
Mais là se borne,
malheureusement, la ressemblance entre l'humble petite ville bretonne
et la triste mais magnifique cité des anciens doges. Toutefois,
si Redon n'a pas les innombrables palais du Grand-Canal et les merveilleuses
constructions de la place Saint-Marc, elle a, elle aussi, des monuments
intéressants, son ancienne abbaye, aujourd'hui collège
très-florissant et son imposante église de Saint-Sauveur.
Cette
dernière attire tout d'abord le regard du voyageur : ses tours
et son chur se présentent si bien qu'on demeure vraiment
impressionné devant eux. Je ne sais pas pourquoi l'on ne parle
point de la tour de Redon en dehors de cette ville. La tour de Redon
est sans contredit un des monuments les plus importants que possède
la Bretagne. Si elle n'a pas la délicatesse, le fini, la ciselure
des célèbres flèches du Kreisker, du Folgoët,
et de Quimper, - merveilles de Basse-Bretagne - elle a un cachet peut-être
plus religieux parce qu'elle est moins ornée sans être
moins grandiose. Cette même noblesse et cette même simplicité
d'architecture se présentent dans le chur de Redon aussi
bien que dans la tour. L'église de Redon, pour tout dire en un
mot, c'est la belle manifestation d'une pensée monastique ; ce
sont les moines de Saint-Sauveur qui oui construit cette église
et ils ont mis dans ce travail la noble beauté, et la sainte
sévérité que respirent les règles de Saint
Benoît qu'ils s'appliquaient à suivre.
C'est encore aux religieux que l'on doit les belles constructions du
collège de Saint-Sauveur. Les moines bénédictins
avaient construit le remarquable cloître du XVIIe siècle
qu'on y visite avec tant d'intérêt et où se retrouve
le grand souvenir du cardinal de Richelieu, jadis abbé de Redon.
Les PR. PP, Eudistes, dignes successeurs de ces vieux moines, ont récemment
enrichi leur bel établissement d'une chapelle véritablement
remarquable sous tous les rapports. C'est ainsi que se continue à
Saint-Sauveur la chaîne des traditions du beau et du bien.
Il y a mille ans que Redon existe ; depuis ce long espace de temps il
a par trois fois changé de physionomie. Ce ne fut d'abord qu'une
bourgade qui naquit tout naturellement à l'ombre du monastère
de Saint-Sauveur fondé par Saint Convoyon : plus tard, an XIVe
siècle, une ville s'était formée, les abbés
de Redon l'entourèrent de murailles avec de nombreuses tours
et trois portes fortifiées. De nos jours, enfin, Redon a vu tomber
cette vieille enceinte de murs, il s'est peu à peu agrandi et
s'est même embelli, mais il conserve toujours un aspect grave
et sérieux; tout en se préparant un assez brillant avenir
Redon a le bon esprit de ne pas dédaigner le passé et
vit de souvenirs en même temps que d'espérances. Elle le
prouvait dernièrement encore en fêtant solennellement la
restauration
du culte de son saint fondateur le bienheureux Convoyon.
Puisse cette jolie petite ville de Redon, qu'un
vieil historien préférait à tout autre lieu de
Bretagne, persévérer dans cette ligne de conduite. Qu'elle
étudie son passé pour en suivre les beaux exemples en
repoussant les mauvais ; qu'elle prépare son avenir en s'attachant
de plus en plus aux principes de tout progrès véritable
et de
toute civilisation, c'est-à-dire aux principes religieux qui
feront toujours sa force comme ilsont déjà fait sa gloire.
II - La Légende
Redonnaise.
Plus heureuse que bien d'autres,
la ville de Redon a son histoire récemment publiée et
Sérieusement composée ; nous n'avons donc nullement l'intention
de refaire ici le récit des évènements qui se sont
écoulés dans ses murs
depuis le moment béni où Saint Convoyon changea en une
abbaye, berceau de notre ville, les sauvages marais et les sombres forêts
de Roton. (l) Mais, outre son histoire, tout lieu célèbre
a sa légende et il ne faut pas oublier que Redon fut peut-être
le plus illustre des monastères bretons au moyen-âge.
Cette légende, ce n'est point un fait
historique soumis à la critique des .savants, c'est un doux souvenir
des temps passés, c'est un dernier parfum qui s'exhale de la
grande foi de nos pères, c'est un témoignage toujours
vivant de la dévotion séculaire des peuples envers Redon,
c'est un hommage rendu avec la candeur et le naïveté de
l'enfant à la Divine Providence, c'est enfin l'expression toujours
fraîche et toujours aimable d'une pensée qui ramène
l'âme à Dieu.
Les légendaires nous racontent donc comment
le lieu de Redon fut choisi pour devenir un magnifique monastère,
comment son église fut consacrée par Jésus lui-même,
et pourquoi le Sauveur donna une bénédiction toute particulièreà
Redon.
Lorsque Saint Convoyon quitta Vannes pour se retirer dans la solitude,
il. vint avec ses compagnons au confluent de l'0ust et la Vilaine, là
où s'élève aujourd'hui la ville de Redon. "
Un instinct secret les arrêta dans ce lieu béni, que Dieu,
dit la pieux biographe du Saint, avait choisi de toute éternité
pour y établir une maison de prière. Et comme ils hésitaient
sur l'endroit précis où ils devaient planter leur tente
et construire l'oratoire, ils montèrent sur le sommet de Beaumont
et se mirent en oraison pour demander la volonté divine., Elle
ne tarda pas à leur être manifestée, le Seigneur
ayant pour agréable la simplicité de leur foi ; et, à
l'heure de tierce, ils virent une croix lumineuse descendre du ciel
à l'endroit où se trouve aujourd'hui le maître-autel
de l'église du Sauveur.
C'est ainsi que Dieu manifesta par un signe visible le choix qu'il avait
fait de ce lieu pour y être honoré dévotement pendant
une longue suite de siècles (2). "
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Cliché
Paul Gruyer,
REDON (Ille-et-Vilaine): clocher roman de Saint
Saveur
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Cette
apparition d'une croix porta aussi très probablement les moines
à dédier leur nouveau monastère au Divin Sauveur
qui nous racheta sur l'arbre du Calvaire. Lorsque l'église conventuelle
fut achevée dans " la forme, symétrie et disposition
" indiquées, dit le bon Père Albert Le Grand, par
une céleste révélation, on s'occupa
d'inviter un évêque à la venir consacrer. On sait
qu'alors tontes les églises n'étaient généralement
livrées au culte qu'après avoir reçu les saintes
onctions qu'indique le cérémonial de la consécration
des édifices santés. L'évêque choisi par
les moines s'apprêtait donc à venir consacrer solennellement
la nouvelle église abbatiale lorsqu'il en fut singulièrement
empêché: La nuit qui précéda le jour désigné
pour la cérémonie il lui fut révélé
qu'il se gardât bien de consacrer l'église de Redon, "
le Sauveur l'ayant lui-même consacrée en compagnie de ses
anges. "
Quelque extraordinaire que nous paraisse cette consécration divine,
elle n'est pas particuière à Redon seulement. J'ai retrouvé
là même tradition en Suisse, dans l'admirable abbaye de
N.-D., des-Errnites d'Einsideln, et j'y ai vu l'histoire d'une semblable
dédicace miraculeuse peinte dans la coupole de l'église
de ce monastère. Qui des Redonnais n'a entendu parler de cet
enfant abordant presque nu sur le rivage de Redon ? Les laveuses de
Rieux - grande ville
alors, dit-on, - avaient
repoussé ce pauvre petit, mais les femmes de Redon le recueillirent
pleines de charité. Or, ce petit enfant c'était le Sauveur
Jésus qui s'est fait le plus humble des hommes pour abattre notre
orgueil ; il récompensa les charitables habitants de Redon en
leur promettant que sa bénédiction toute spéciale
s'étendrait
sur leur ville qui prospérerait de plus en plus, à mesure
que Rieux déclinerait en punition de sa dureté.
Charmante tradition, vraiment ! où trouverez-vous une plus pressante
exhortation à la charité envers les pauvres orphelins
que dans cette simple et naïve légende ? Maintes fois nous
l'avons entendu raconter et toujours cette douce figure de Jésus
enfant nous apparaît aussi. fraîche et aussi grâcieuse,
aussi touchante et aussi consolante.
Tels furent, d'après les légendes, les commencements de
Redon ; l'histoire confirme ces douces traditions. L'histoire nous apprend,
en effet, que le Seigneur était avec Convoyon quand ce saint
personnage fonda son monastère, elle nous apprend que le Sauveur
fut tout particulièrement honoré dans l'église
de Redon et qu'il accorda toujours des grâces spéciales
aux nombreux pèlerins qui vinrent visiter ce sanctuaire. La légende
redonnaise nous explique, à sa manière, cette affection
du Sauveur pour notre ville, et, en nous le montrant désignant
d'abord son sanctuaire, puis venant le consacrer lui-même, et
voulant enfin y résider pour récompenser la piété
des habitants, elle ne fait que nous représenter d'une façon
sensible et charmante l'esprit qui se dégage de l'histoire de
Redon.
(1) Roton,
ancien nom de Redon.
(2) Hist. de Redon, p. 5.
Abbé
Guillotin de Corson
(publié en 1870 dans
" Récits historiques, Traditions et Légendes de Haute
Bretagne,Ile-et-Vilaine, arrondissement de Redon ").
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