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Le
poignard du chemineau
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Il faisait
ce jour,là un vrai ciel de printemps. Sur le Blavet la brise courait
chaude et caressante. Sur la colline du Castennec ( 1 )
il y avait des vols d'alouettes, de gracieuses théories d'hirondelles
qui se poursuivaient gaiement dans l'azur, et, dans chaque bouquet d'arbres,
les oiseaux en concert chantaient les matines du bon Dieu. Le soleil
du firmament souriait au renouveau et la multitude innombrable des êtres
disait à sa manière la joie d'aimer. Il faut
d'abord vivre, et quand on n'a pas le courage de demander son argent
au travail de chaque jour, on finit par avoir l'audace de le prendre
dans la poche d'autrui. À la fin
il n'y put tenir. Petit à petit une idée naquit dans son cerveau qui
devint très obsédante, l'idée de retourner au pays natal. Il retrouva
en son esprit l'humble ferme où il avait vécu ses tendres années, le
troupeau qu'il avait conduit au pâturage, les champs où il avait moissonné
et par-dessus tout les visages aimés des deux vénérables paysans qu'étaient
son père et sa mère : " J'irai, s'écria-t-il, et je reverrai la maison
des miens. On y est pauvre, mais l'air qu'on y respire est pur. Puissé-je
y rencontrer la paix de la conscience ! " Il arrivait
au pays en la saison de Pâques fleuries, en ce beau jour du réveil de
la nature. Aujourd'hui son esprit était ailleurs. À flots pressés, au contact de la terre natale, les souvenirs de sa vie tourmentée montaient à son esprit. Était-il le même homme qui avait jadis vécu en ces lieux, lui, le déclassé ? Oui, vraiment, et il lui semblait que cette seule pensée contribuait à l'irriter encore davantage. " Hé ! le chemineau, lui criaient les travailleurs occupés au sarclage dans les blés en herbe, tu as de la chance de te payer une promenade par le beau temps. Viens donc nous donner un coup de main. Tu ne dois pas être si pressé d'arriver au bout de ta route ". Et les mauvaises plaisanteries et les quolibets de pleuvoir sur son dos. Jusqu'aux chiens qui dormaient près des fossés et qui se réveillaient pour aboyer après ses chausses. Sombre et farouche, sans même prendre la peine de répondre, Guillaume continuait d'avancer. Était-il donc un proscrit, un objet de risée jusque dans son propre pays ? Il débouchait
en ce moment à l'issue d'un chemin creux, auprès duquel une ferme isolée
se dressait, avec ses murs de grosses pierres mal équarries et son toit
de chaume épais. La faim commençait à lui tenailler les entrailles et
il n'avait pas un sou vaillant. "
Me mes me ur brerig bihan, ho (bis ) "Mar
da mem brer bihan d'er ger, ho "
Moi, j'ai un tout petit frère
" Si mon petit frère s'en revient chez nous, Il s'approcha davantage et mit 1'oeil au trou de la serrure. Il eut peine à réprimer un cri de surprise. Un enfant sur ses genoux, la tête contre sa poitrine, la femme alignait sur la table des piles de louis d'or et de pièces de cent sous et n'interrompait sa chanson que pour compter : un franc, dix francs, vingt francs, etc. Elle avait profité de l'absence de tout le montre pour retirer de l'armoire la grosse bourse en toile où son mari avait enfermé la somme qu'il avait retirée de la vente de ses boeufs et ce lui était un bonheur d'évaluer son trésor qui devait lui servir à payer sa ferme. La vue de cet argent et de cet or, qui avaient dans les mains de la paysanne des reflets séducteurs bouleversa l'âme du gueux. La bête féroce qui sommeillait en lui se réveilla. D'une main fiévreuse il souleva le loquet de la porte, bondit en avant et saisit la femme à la gorge, en criant : " la bourse ou la vie " ! Instinctivement la fermière voulut cacher louis et pièces de cent sous. Il était trop tard : " la bourse ou la vie " ! hurlait la voix, et de sa ceinture Guillaume Lonvil retirait un énorme couteau à cran d'arrêt qu'il brandissait au-dessus de la tête de sa victime. - " Au secours ! au secours
! grâce " ! implora celle-ci. La foudre serait tombée aux pieds de ce dernier qu'il n'aurait pas été plus saisi. C'était la première fois depuis longtemps, dans sa vie d'aventure, qu'il recueillait un sourire. Ce simple mot de tatad prononcé par les lèvres d'un innocent l'avait remué jusqu'aux entrailles, en lui rappelant qu'il fut père lui aussi. Pour atteindre la mère, il fallait frapper l'enfant. Il n'en eut pas le courage. " Eh bien non ! s'écria-t-il, en jetant son poignard par la fenêtre, gueux je vivrai, s'il le faut, toujours, mais en assassin, jamais. Garde ton trésor et ta vie, femme, ton petit t'a sauvée ! " Et il sortit et l'estomac tiraillé par la faim, le coeur content, il reprit sa course de vagabond, durant que le soleil de mai brillait encore plus éclatant dans le firmament, que le Blavet continuait sa course paisible au pied du Castennec et que les oiseaux chantaient sur le bord de leurs nids, dans les bocages, l'alléluia de Pâques.
Recueilli par M. Morvan, de Pluméliau. ( 1 ) La colline du Castennec est une hauteur abrupte, semée de rochers et de landes qui surplombe le Blavet, devant le village de Saint-Nicolas des Eaux en Pluméliau. Bibliographie: On trouve aujourd'hui une excellente réédition des contes et légendes de l'abbé Cadic, avec des notes critiques par Fañch Postic: "Contes et légendes de Bretagne", Les récits légendaires. Editions Terrre de Brume-Presses Universitaires de Rennes.
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